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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

De La Découverte : « Homo Domesticus » de James C. Scott et « Une histoire des civilisations » sous la direction de Jean-Paul Demoule, Dominique Garcia et Alain Schnapp

Joël Jacques

Homo domesticus est très probablement l’ouvrage le plus intéressant qui me soit passé entre les mains depuis 21 leçons pour le XXIe siècle de Noah Harari (Albin Michel, 2018). James Scott y brosse un portrait pour le moins singulier de l’évolution humaine et des traces qu’elle a laissé. Il pose une question qui ne manque pas de piquant : « L’homme domestique-t-il ou est-il domestiqué ? ». Certains d’entre nous ne pourrons s’empêcher de sourire en pensant que l’homme est peut-être au service du chat et non l’inverse… Les contraintes de l’agriculture, semer, entretenir, récolter, transformer, ne sont-elles pas des modes de domestication de l’homme par ses propres productions ?

À l’inverse, ce sont peut-être aussi ces contraintes qui donnent à l’homme les moyens de s’en libérer et de prétendre à être plus qu’il n’est réellement au regard de l’évolution des espèces. Ainsi, il apparait que les civilisations qui sont, encore aujourd’hui, le support de toutes les études archéologiques, anthropologiques, historiques, n’ont aucune identité humaine sinon les vestiges des murs de pierre et des enceintes qu’ont construits ceux qui y habitaient. Les grandes cités construites par l’homme ont amené pouvoir, contraintes, esclavage, contrôles et les étendues de ces empires, de ces royaumes, de ces cités s’arrêtaient inexorablement à la limite économique du percepteur d’impôt. Lorsque l’envoi du collecteur revenait plus cher que l’impôt qu’il pouvait percevoir, alors, on atteignait la limite d’influence.

Si l’on tient compte de ce que nous développe l’auteur, il se peut fort bien que l’idée d’effondrement d’un anthropocène bien orchestré tel qu’il apparait aujourd’hui, ne soit rien d’autre qu’un retour à la fragmentation des groupes humains. Dès lors les mélanges ethniques voient leur devenir sous forme d’éclatements constitutifs de cultures identitaires ou libérées des cités, libérées des « civilisations »… Retour à « La Fin de l’histoire » que nous décrivait Francis Fukuyama que tout le monde présentait comme un hymne final au néo-libéralisme hégélien. Comme il ne faut pas confondre les civilisations avec les identités étatiques qu’elles génèrent, on se contentera de constater que les groupes nés des effondrements peuvent, à tout moment, se fédérer pour constituer d’autre civilisation. C’est, en gros, ce qui se passe depuis 30 000 ans et fait le régal des « archéologues du mystère » et autres détenteurs des mythes atlantéens. En effet, si les groupes humains existent, les mosaïques de cultures, ne disparaissent pas. Elles se renouvellent. Ainsi, ceux qui portent l’intelligence civilisatrice sont, inévitablement, ceux que les civilisés nomment « barbares », ceux qui ne laissent pas de traces construites, ceux qui n’écrivent pas sur des supports durables, ceux dont les seules traces sont biodégradables, ceux qu’il est presque impossible d’étudier sauf… Et bien sauf lorsqu’ils se regroupent pour construire et non pour cultiver ou domestiquer car… en tout état de cause, une bonne razzia évite ces désagréments. C’est ainsi que James Scott nous amène à constater que « les peuples étatiques et les peuples sans États, agriculteurs et cueilleurs barbares et civilisés sont, en réalité des jumeaux, tant au niveau réel qu’au niveau symbolique ». Chacun engendre son double.

Ce sont ces doubles emboités que nous présentent Jean-Paul Demoule, Dominique Garcia et Alain Schnapp dans un remarquable ouvrage référencé dans le précédent et plusieurs fois cité. Un ouvrage encyclopédique exceptionnel et totalement complémentaire au précédent.

Dans Une Histoire des civilisations, l’archéologie redevient, avec bonheur, une science prospective. Les groupes humains y sont clairement présentés depuis leurs origines, les pratiques de clans y sont disséquées. Lire Homo Domesticus à la lumière de cet ouvrage est non seulement un plaisir mais une véritable plongée dans la lumière de ce que sont les Sapiens. L’ouvrage regroupe quelque 75 articles qui nous présentent ces hommes dont nous sommes une part.

Ça démarre avec les chasseurs-cueilleurs pour finir avec les sociétés modernes, les fouilles induites par les immenses chantiers comme ceux du métro d’Istanbul. Rien n’y est présenté ex abrupto, toutes les sociétés sont en lien avec l’évolution humaine depuis l’origine. On y retrouve Néandertal et les Dénisoviens, les disparitions et les évolutions, les quêtes les plus modernes autour de traces surprenantes. On y trouve aussi les lieux inexplorés de la pensée, les petits groupes isolés dont James Scott souligne qu’ils sont probablement toujours les sauvegardes de la pensée lorsque les civilisations s’effondrent. Nous sommes ici loin, très loin devant toute cette littérature étrange d’archéologie soi-disant mystérieuse… Les traces le sont assez comme cela et tout cela est absolument passionnant.

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