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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Petite histoire de la première internationale (AIT). À la rencontre de Karl Marx et Michel Bakounine » de Christian Eyschen, Michel Godicheau, Dominique Goussot, Pierre-Yves Ruff et Jean-Marc Schiappa

Jean-Pierre Bacot

 

Dans  la collection « Résistances », les éditions protestantes libérales Théolib publient un ouvrage collectif sur la naissance de la première internationale, Association internationale des travailleurs (AIT), à Londres au St Martin’s Hall, en septembre. 1864.

 

Dans sa préface, Michel Godicheau rappelle que c’est dans la capitale de l’Angleterre, ouverte alors à des milliers de proscrits qu’allait se cristalliser un rassemblement qui couvait depuis les événements de 1848, année où fut publié par Karl Marx le Manifeste du parti communiste. La mise en place de ce dispositif fut favorisée par l’arrivée dans la capitale anglaise de nombreux ouvriers œuvrant à la préparation de l’exposition universelle de 1862. Tout cela se structura rapidement, au prix cependant de l’expression de divergences, principalement du côté du libertaire Bakounine. Les courants se divisèrent dès le congrès de Bâle en 1869 et cette division se poursuivit à l’occasion des événements de la Commune parisienne l’année suivante.

 

Dans le chapitre suivant, en un rappel des derniers moments de cohabitation entre les deux principaux leaders du mouvement révolutionnaire, Christian Eyschen qui met en exergue une citation de Trotsky, taille un costume sur mesure à Proudhon dont il rappelle ce que furent son antisémitisme et sa misogynie. Il propose également un utile regard historique sur les divers congrès et conférences qui suivirent, marquant la séparation des deux principales tendances, jusqu’aux événement russes de 1905 puis de 1917 et la création des soviets qui firent basculer le mouvement dominant du côté du léninisme naissant, au prix de la persécution des anarchistes.

 

Dominique Goussot s’attache pour sa part à repenser ce que fut le rôle des francs-maçons dans la création de cette première internationale. Il note que même si les deux filles de Marx auront chacune épousé un maçon, la cohabitation ne fut pas de tout repos. Par exemple, l’appartenance de Bakounine à la maçonnerie ne favorisa pas l’unité du mouvement ouvrier, ni même la cohésion des enfants de la veuve, lesquels ne goûtaient pour la plus part fort peu les orientations prolétariennes de l’intéressé. Pour autant, comme le précise Dominique Goussot, si les loges ne fournirent pas de cadre idéologique à de nombreux libertaires, elle leur offrit cependant un havre de paix, un peu comme Londres avait accueilli les proscrits.

 

Jean-Claude Schiappa traite  dans sa partie du rôle de La Libre pensée, à compter de 1848, date où les premiers cercles de cette organisation toujours vivante se formèrent. L’attitude anti-ouvrière des ecclésiastiques du moment aura contribué à permettre à une bonne partie du prolétariat de se déconnecter de son appartenance religieuse et à identifier l’Église catholique comme alliée du patronat, même si la hiérarchie catholique s’attacha à structurer des organisations destinées à contrer l’influence marxiste et libertaire dans le monde ouvrier. On peut se demander aujourd’hui quel sera le rôle futur de La Libre pensée dans une société où le marxisme, comme le catholicisme, deviennent marginaux.

 

Pierre-Yves Ruff s’attaque enfin au rôle des protestants libéraux dans ce processus. Rappelant ce que fut le rôle des frères Élisée et Élie Reclus, l’auteur note que la volonté de Ferdinand Buisson de fonder en 1869 une Église du protestantisme libéral fit scandale, Buisson se heurtant notamment à Martin-Paschoud qui lui reprocha de faire rentrer matérialisme et athéisme dans la bergerie, éloignant les croyants de tout spiritualisme. Ce que décrit en fait Pierre-Yves Ruff en scrutant une situation assez complexe, c’est une sortie du religieux de la frange progressiste du protestantisme. Plus largement le mouvement révolutionnaire contribua à accélérer cette décrue qui continue aujourd’hui, au point que calvinistes et luthériens ont été conduits à s’unir pour reculer le moment de la déroute.

 

Deux documents fort intéressants datés tous deux de 1866 terminent l’ouvrage avant une longue liste des personnes citées dans  les diverses contributions dont bon nombre sont pour l’occasion extirpées de l’oubli. Le premier texte concerne un extrait d’un livre de Franz Mehring, auteur bien oublié, sur La Vie de Karl Marx publié en 1918 au sujet des rapports entre les syndicats et l’AIT. Le second présente les instructions du Conseil général provisoire de la première internationale à propos de ces mêmes syndicats.

En résumé, ce petit ouvrage polyphonique à cinq voix présente un intéressant regard croisé sur un moment crucial essentiellement politique, mais qui eut des conséquences sur les  champs philosophiques et religieux, comme cela avait déjà été le cas en 1848 et comme cela se reproduisit en 1936 ou en 1968. Aujourd’hui cependant, le désenchantement du monde que produisit sur ces périphériques le mouvement révolutionnaire le touche lui-même. L’adversaire de classe n’a certes pas disparu, mais il a muté, quant à l’Église, est-il utile de le rappeler ici, elle se meurt. Il n’en est que plus utile de rappeler l’historicité de ce processus, ce que cet ouvrage réussit fort bien.

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