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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

L’« Alt-Right », l’antisémitisme et l’extrême droite française. Une mise au point

Stéphane François

L’Alt-Right américaine a fait irruption dans la vie politique française à deux moments : le premier a été l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ; le second dans l’immixtion de celle-ci dans la politique française en soutenant le Front national (aujourd’hui Rassemblement national), en particulier Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal. La volonté de la nébuleuse américaine d’y jouer un rôle est encore présente aujourd’hui, via la volonté de Stephen (dit Steve) Bannon, homme d’affaires et patron du site Breitbart, de fédérer les partis populistes d’extrême droite européens, via une fondation appelée « Le Mouvement ». Nous proposons ici de revenir sur trois points : la nature de l’Alt-Right ; son rapport au racisme et à l’antisémitisme ; et enfin les liens des théoriciens de l’Alt-Right avec les militants de l’extrême droite française.

Pour beaucoup d’observateurs, l’Alt-Right se résume à Steven Bannon. Pourtant, celui-ci n’est pas le seul représentant, ni surtout le plus radical. L’Alt-Right est une nébuleuse qui naît dans les années 1960, ses premiers théoriciens, évoluant dans les milieux du « racisme universitaire », ayant commencé à produire à cette époque, en lien avec des échanges avec des militants racistes français.

Cependant, l’expression « Alternative-Right » est très récente : elle a été forgée en 2008 par l’universitaire paléoconservateur (en opposition au néoconservatisme) Paul Gottfried pour définir cette extrême droite euro-américaine. Cette expression recouvre une mouvance, plus qu’un mouvement structuré, d’auteurs et de groupuscules, aux propos parfois contradictoires, professant un discours anti-métissage parfois raciste et même racialiste, parfois xénophobe, chez certains antisémite ou suprémaciste blanc, parfois prônant le séparatisme racial, mais elle ne peut pas être réduite à la nébuleuse néonazie, bien que certains de ses membres en fassent partie.

Parmi les théoriciens importants, on peut citer le suprémaciste blanc Richard Spencer, les théoriciens racistes Jared Taylor et Robert S Griffin, le « post-nazi » Greg Johnson ou le militant païen Collin Cleary. La référence au néopaganisme, voire au paganisme n’est pas mineur, loin de là : il s’agit pour les théoriciens radicaux de l’Alt-Right de revenir à la vrai foi européenne, c’est-à-dire concrètement aux religions ethniques des peuples « blancs », le christianisme étant vu à la fois comme un « bolchevisme de l’Antiquité » pour reprendre le mot du mentor de Hitler, Dietrich Eckardt (repris dans les années 1970 par Alain de Benoist) et comme une religion sémite, destructrice de la civilisation antique européenne. L’antisémitisme reste donc un point doctrinal chez eux.

En effet, si Steven Bannon n’est pas antisémite, ce n’est pas le cas d’autres composantes de la nébuleuse. Chez plusieurs théoriciens importants, on est passé du néonazisme (la promotion de la « race blanche », de l’antisémitisme et de l’anticommunisme) au postnazisme qui peut être défini comme un discours de défense de la race blanche, au contenu antisémite et raciste (à l’instar du néonazisme), mais qui ne cherche pas à minimiser ou à nier le génocide des Juifs européens. Au contraire, les tenants du postnazisme l’assument et souhaitent « passer à autre chose » selon le mot terrible de Greg Johnson, au motif que la race « blanche » subirait aujourd’hui son propre génocide (métissage, substitution ethnique, immigration-colonisation). Il se structure aussi sur l’idée d’un « nationalisme blanc », faisant la promotion d’un séparatisme racial, proche de l’apartheid : il s’agit de créer des zones de peuplement blanches, loin du métissage.

Ce discours identitaire mixophobe se nourrit des textes de l’extrême droite française. Ainsi, l’Alt-Right s’intéresse particulièrement à la Nouvelle droite européenne, qu’elle considère comme la « vraie droite » selon l’expression du raciste universitaire Samuel Francis. Ainsi, le site très influent dans ce milieu, Counter Currents Publishing, traduit régulièrement des articles et des textes des principaux théoriciens néo-droitiers francophones. Cet intérêt est réciproque : des collaborateurs de ce site sont considérés en retour par les néo-droitiers francophones comme proches idéologiquement, voire comme des amis. C’est le cas, par exemple de Greg Johnson pour le Belge Robert Steuckers, tandis que Tomislav Sunic est le correspondant de Nouvelle école, la revue théorique de la Nouvelle droite fondée par Alain de Benoist, pour la Croatie, après avoir consacré un livre à cette même Nouvelle droite et participé à l’ouvrage collectif Le Mai 68 de la Nouvelle droite (Labyrinthe, 1998). Cet intérêt s’est concrétisé à partir de novembre 2011 par la création d’une revue annuelle intitulée North American New Right qui reprend leur thématique habituelle : racialisme, séparatisme blanc (« White Republic »), histoire et préhistoire européennes, métapolitique, traditionalisme (au sens ésotérique du terme), etc.

Aujourd’hui les livres des principaux théoriciens de l’Alt-Right, Greg Johnson, Robert S. Grifffin et Collin Cleary par exemple, sont traduits par des éditeurs, négationniste pour les deux premiers (Akribeia) ; identitaire/néonazi pour le dernier (Le Lore). On reste donc dans les milieux très radicaux. De fait, ces auteurs ont permis à l’extrême droite française la plus radicale d’évoluer et de diffuser un discours « nationaliste blanc » et « postnazi » dans l’espace francophone.

Par contre, il n’y a guère de relations avec le Front National (FN)/Rassemblement National (RN) mis à part, peut-être, des lectures individuelles. En effet, s’il y a eu un semblant de rapprochement l’Alt-Right avec le Front national, ce fut surtout pour ce dernier pour utiliser la notoriété de Steve Bannon, invité au congrès du FN à Lille en mars 2018. Sa volonté d’unir les partis populistes d’extrême droite est perçue par les cadres RN comme une forme d’impérialisme, comme le montre la prise publique de distance de Marine Le Pen.

S’il y a bien une influence de l’Alt-Right sur l’extrême droite française, et même un va-et-vient d’échanges mutuels et de références réciproques, cela concerne surtout les groupes les plus radicaux, néonazis et négationnistes.

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