Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Le nombre de bavures policières s’accroit, à Paris, à Marseille et ailleurs en France. Des morts, des mutilés, des blessés par centaines. Combien en faudra-t-il pour que le pays réagisse efficacement ? Tout ce que la nation compte encore d’humanistes et de républicains, y compris dans la police, la gendarmerie et la justice, doit se mobiliser avant qu’il ne soit trop tard et que la vengeance ne se mette à l’œuvre avec une logique « œil pour œil, dent pour dent » qui sera récupérée par les postfascistes et plus largement les forces de droite. La trilogie « liberté, égalité, fraternité » ne doit pas relever d’une simple incantation.
Celles et ceux qui ont choisi un métier pour lequel le régime de retraite n’est pas le pire qui soit, dans la police ou la gendarmerie, avant de pantoufler souvent comme vigiles privés, doivent savoir que s’ils choisissent une sorte d’état de guerre larvée contre la société avec le plein soutien de la présidence de la République et du gouvernement, la société, en retour, risque de leur faire payer cher ce choix un jour ou l’autre. Ce serait dommage, car la société a déjà su reconnaître que les autres missions, principalement la chasse aux criminels en tous genres, sont effectivement souvent dangereuses et a prouvé a plusieurs reprises qu’elles les considéraient comme autrement respectables.
Le droit de manifester d’une autre manière que dans un calme déprimant est de plus en plus menacé. Du côté des forces dites de l’ordre, c’est la gestion des effectifs qui est en cause et le fait que le maintien de cet ordre soit souvent confié à des personnes non formées. Un responsable de la Confédération générale du travail (CGT) Police, Antony Caille,explique :« Une grosse partie du maintien de l’ordre a été gérée par des gens dont ce n’est pas le métier. Il y a clairement une volonté politique de se servir de plus en plus de ces gens-là. C’est très difficile de les retrouver quand ils commettent des irrégularités, voire des actes illégaux. Ils ne portent pas leur numéro de matricule. Ils sont parfois masqués. Et si l’un d’eux tombe, il sera personnellement responsable. C’est une bonne couverture pour la hiérarchie qui sait pertinemment que ces gars-là, lâchés en maintien de l’ordre, peuvent faire n’importe quoi » (cité par Nolwenn Weiler, «ʺCertains y sont vraiment allés sous la contrainteʺ : ces policiers fatigués par la dérive du maintien de l’ordre», bastamag.net, 2 octobre 2019). Nous avons vu de quoi était capable un Alexandre Benalla lâché sur des manifestants.
Les expulsions musclées de squats ou d’occupations pacifiques par des êtres humains en situation de détresse se multiplient, à Marseille particulièrement, dont le centre-ville a été, nul ne l’ignore, abandonné depuis des décennies. Il y a de quoi faire peur. Mais au-delà de la déploration, que faire ? Lancer et alimenter le débat et contrer systématiquement celles et ceux qui affirment à chaque dérapage qu’il s’agissait d’une « réponse proportionnée ». La presse peut d’autant plus jouer son rôle que les journalistes qui couvrent les événements sont moins protégés que jamais.
Nous ne sommes plus dans un contexte de forces de l’ordre républicaines et démocratiques. Pour autant, il faut savoir raison garder, les polices des pays dictatoriaux sont encore pires. Nous entrons progressivement dans un entre-deux, avec une violence policière qui est à mettre en parallèle avec la violence sociale. De plus l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) témoigne d’une indulgence coupable qui contribue très largement à faire monter des slogans du genre : « Tout le monde déteste la police » ou « Flic ou chômeur, il faut choisir », en attendant le retour d’une parole soixante-huitarde du type : « CRS SS »., ou du très international ACAB (All cops are bastards), slogan créé dans les années 1980 par les mineurs britanniques, alors qu’en 2016, dans un contexte post-attentat, les Français applaudissaient les forces de l’ordre et Renaud chantait J'ai embrassé un flic.
Mais il y a pire : les réactions complotistes. Ainsi, par exemple, celle d’un Gilet jaune qui signe Thierry Theller, à propos de la rumeur concernant la présence de cyanure dans le gaz lacrymogène et la réaction des autorités contre l’assimilation de ce gaz à celui utilisé par les nazis : « Parmi eux, combien existent-ils de "frérots trois points" (FM), qui, idéologiquement obnubilés et emportés par leur haine du peuple, s'évertuent, du point de vue de la vérité, à "gazer" la réalité de cet authentique drame de l'insécurité physique, que vivent actuellement les Gilets jaunes ? Du reste, en cette affaire, qui peut encore nier une identité de volonté fascisante, qu'il s'agisse du zyklon B, du gaz lacrymogène : cuisiné à l'acide cyanhydrique, ou les nombreuses mutilations collectives ; trop souvent à l'origine de blessures corporelles graves, dont certaines létales, dont fait preuve le Macronisme gestapiste, aujourd'hui quasi détesté par la France toute entière » (Commentaire de l’article de source russe Sputnik « Du cyanure dans la formule chimique des grenades lacrymogènes lancées par la police ? », zejournal.mobi, 8 avril 2019).
De ce type d’outrance, la police n’est certes pas responsable, mais son comportement, on le constate ici, peut réveiller le pire. Flash Ball GL06, grenades GLI-F4, dites de désenclavement, gaz lacrymogènes, créent sans aucun doute des emplois industriels, mais l’utilisation irraisonnée de ces armes par des personnels surprotégés, mais souvent mal formés, surtout côté policier, qui tirent parfois à bout portant, est insupportable. La toile met à disposition des vidéos qui font figure de preuves. Cela ne peut qu’inciter les manifestants les plus remontés à lancer sur les « Tortues Ninja » tout ce qui leur passe sous la main, cf. le film les Misérables, ou à pirater les fichiers des compagnies républicaines de sécurité (CRS). Il est finalement étonnant qu’en dehors de quelques Gilets jaunes et Black Blocks, la violence ne s’exerce pas davantage après, par exemple,la vieille dame marseillaise morte d’avoir reçu un projectile policier sur son balcon, alors qu’elle ne manifestait pas et les dizaines de blessé-e-s. Ce sont des dégâts collatéraux, nous dira-t-on, et on peut attendre longtemps la punition du délit ou du crime.
Les cas d’emprisonnement de policiers sont rarissimes et suivis en général d’une manifestation de protestation de leurs collègues. Tuez quelqu’un avec un Flash Ball ou une grenade et vous bénéficierez d’un sursis, frappez un représentant de l’ordre sans lui faire trop de mal et vous aurez droit à un emprisonnement ferme. On nous dira aussi : « Mais ce sont des représentants de l’autorité républicaine ! » Certes, mais une telle autorité, cela se mérite et il n’est pas besoin de remonter très loin dans l’histoire de ce pays pour retrouver des pratiques indignes. La police obéit à des ordres et qui les donne ces ordres ? La hiérarchie policière ou la gendarmerie qui dépendent du préfet de police, lequel en réfère au ministre de l’intérieur, etc.
Avant que nous n’en arrivions à de véritables extrêmes mortifères, réagissons, portons plainte, manifestons, ne battons pas en retraite, exigeons que la justice passe pour ne pas avoir à légitimer la vengeance. Sachons également entendre ceux qui, au sein des forces de l’ordre, osent tirer la sonnette d’alarme.
Faut-il rester dans son bocal, certes protecteur, pour ne pas comprendre que cette violence policière montante est liée, en France comme ailleurs, à la volonté des gouvernements de forcer le consentement des citoyens pour accepter des décisions prises au nom d’une supposée rationalité économique et financière ? Faut-il s’aveugler volontairement et ne pas voir qu’il s’agit de faire admettre comme une évidence des équilibres secteur par secteur, ce qui n’est de fait qu’une justification pour pérenniser l’emprise du néolibéralisme ? Pas du libéralisme porteur de libertés, avec un État minimal, nous écrivons bien du néo- libéralisme où l’État régule, mais au profit des puissances d’argent. Fantasme néo-marxiste, vision en noir ? À propos de cette couleur, on parle des Black Blocks comme de vilains destructeurs, mais que nous construit BlackRock, cette monstrueuse machine libre-échangiste, sinon un rapport favorable à la retraite à points contre une médaille de la légion d’honneur. Tout n’est pas pour autant perdu et une fois passés nos gémissements, espérons toujours en un monde moins pire.