Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Le livre (éditions du CNRS) de Stéphane François vient à point en un moment post-religieux où les imaginaires de substitution se déchaînent, pour tracer une frontière entre ce qui relève d’une fantaisie exercée en toute liberté et ce qui touche non point au sacré, mais à l’indiscible.
L’auteur reprend, en les enrichissant, plusieurs publications qu’il a produites dans différentes revues dont la nôtre, sites et ouvrages collectifs sur ce sujet dont il est le spécialiste reconnu. Il propose également des pages originales dans un ensemble qui constitue un outil précieux pour celles et ceux qui pourraient tomber sur des digressions ambiguës à travers des ouvrages qui se situent aux limites incertaines de la politique et de la science fiction. Ayant déjà publié aux PUF, en 2015, Les mystères du nazisme, aux sources d’un fantasme contemporain, Stéphane François nous fournit cette fois-ci aux éditions du CNRS, outre un propos efficace et structuré, les références d’études les plus récentes.
Neuf de ces études permettent de balayer les thématiques et de présenter quelques personnages peu reluisants. L’auteur met en valeur le fait que les diplômes ne manquent pas chez les idéologues néonazis qui campent dans une subculture que les universitaires répugnent à étudier. Il faut donc de solides pointures pour décrypter ce qui prolifèrerait sans elle dans une indifférence générale et coupable.
De quoi s’agit-il ? De la composante occultiste et/ou ésotériste de l’idéologie de certains dignitaires nazis dans les années noires, ancrée dans une légende qui a repris forme après la guerre, autour d’une prétendue « société Thulé ». S’il n’y eut pas d’organisation d’une sorte d’Église panthéiste, il exista en revanche des auteurs pour constituer un mythe qui fut réactivé notamment en 1965 par la part sombre du Matin des magiciens de Berger et Pauwels, un champ qui continue à être labouré. L’un des aspects de ce fantasme mortifère va jusqu’à imaginer un Hitler survivant, établi sous terre, en attendant que reprenne sa sinistre activité au service de ce Reich qui devait durer mille ans. S’il ne s’agissait que d’un délire romanesque, on ne parlerait que de mauvais goût, mais pour certains, cela relève d’un horizon d’espérance, aussi étrange que cela puisse apparaître au moment où on marque les 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz.
S’il exista bien quelques porteurs de lubies sous le troisième Reich, notamment Heinrich Himmler, la vieille thématique imaginaire allemande d’une société installée dans une île du grand Nord, supposé berceau de la race aryenne, n’aura pas eu la moindre efficacité comme thématique, voire comme nouvelle religion panthéiste chez les nazis. Son développement date en réalité de l’après-guerre et fut géré par de nombreux écrivains d’extrême-droite, essayistes ou romanciers que ce livre permet de découvrir.
Aujourd’hui, les néonazis allemands, français ou chiliens, bricolent encore une sorte de contre-culture radicale qui passe par une forme de rock, tout cela faisant certes froid dans le dos mais nécessitant des outils pour la combattre, aussi peu ragoûtant que soit le sujet. Si un tel territoire doit être laissé aux scientifiques, ces derniers ne sont pas toujours bien reçus dans l ‘université. Dans sa préface éclairante, Johann Chapoutot, lui-même auteur d’un ouvrage sur le sujet, Le national-socialisme et l’Antiquité (PUF, 2008), explique que les premiers chercheurs qui, comme Henry Rousso, se sont attaqué à ce sujet au début des années 1970, n’ont pas été les bienvenus. Se mettre à étudier l’ignoble et, qui plus est, dans ses composantes actuelles, montrer que les développements ésotéristes ne font pas oublier que la politique d’extermination des Juifs et des Tziganes n’est pas le produit de marginaux adeptes de magie noire, mais d’une idéologie racialiste et d’un vieil antisémite présents depuis longtemps dans les sociétés occidentales, cela ne vous fait pas que des amis. Stéphane François en sait quelque chose, mais il tient bon, et nous aussi.