Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Joël Jacques
Imaginons un savant mélange de craintes et d’inconscients collectifs. Imaginons que la véritable question du terrorisme international soit mal identifiée. Imaginons que la nature même du terrorisme soit appelée à évoluer et que, parallèlement, la nature de la religion le soit aussi.
Bien évidemment, c’est un fait établi, les religions sont en perte de vitesse, voire en cours de disparition du paysage sociologique, mais sommes-nous au clair avec les raisons profondes de cette désaffection ? Si nous l’étions, nous focaliserions-nous autant sur les religions qui nous sont connues ? On le sait, la fin du monde, l’aspect eschatologique de la croyance, n’a de réalité que pour celui qui en suit les préceptes. Par exemple, pour les catholiques, les prophéties de Saint-Malachie énoncent une liste de papes qui arrive à son terme. Le texte précise que le dernier pape sera plus ou moins l’artisan de la fin du monde. Mais quelle est cette fin de monde sinon la fin du catholicisme, la fin de l’universalisme religieux qui définit sa nature ?
Parallèlement à la disparition progressive des religions on voit poindre deux événements. Le premier est le fils naturel d’Adam Smith et de la « main invisible » du capitalisme qui détermine l’avancée du progrès, mais, aujourd’hui, cette « main invisible » est celle qui détruit peu à peu notre environnement au bénéfice du dieu Profit. Tout doit tendre vers la croissance économique qui avance, telle une courbe asymptotique, vers l’infini, sans jamais l’atteindre, sinon dans les délires de ceux qui la porte. Le second est le « diable » qui nous emporte. En effet, notre société occidentale a besoin de « démons » à combattre. Que ces démons soient réels, des ennemis armés jusqu’aux dents qui viendraient « égorger nos fils et nos compagnes » ou qu’ils ne soient que des leurres dont la seule image repose sur l’ignorance et la bêtise comme on peut le constater tous les jours sur les réseaux sociaux, ils n’en demeurent pas moins dangereux. Mais ne nous y trompons pas, l’un comme l’autre de ces « diables » ne sont nulle part ailleurs que dans notre cerveau.
Cependant, dans le flot d’images et de mécaniques médiatiques qui nous environnent, imaginons des scénaristes qui auraient lu Noah Yuval Harari et qui se seraient mis à appliquer ses théories sur la spécificité de Sapiens, à savoir, sa compétence particulière à « croire ». Alors, les véritables questions quant à notre environnement, écosystème ou géopolitique, ramèneraient à la foi. Parce que quelle que soit sa nature, la croyance est le seul instrument qui nous permettrait d’imaginer le monde.
Il y a actuellement dans le catalogue Netflix deux séries particulièrement intrigantes et très proches l’une de l’autre. Elles nous plongent, l’une comme l’autre, dans l’idée à la mode de l’effondrement. Mais, là, il s’agit d’effondrement social et non civilisatoire tel que le définit Jared Diamond. Ces deux séries sont Messiah et Ragnarok. Il y est conjointement question de fin du monde. En effet, on le sait, le Messie est le sauveur de la fin des temps et le Ragnarok est la lutte finale des dieux contre les géants. Les dieux perdront.
Je ne vous raconterai pas les pitches, il vous sera donc nécessaire d’aller les voir et vous ne perdrez pas votre temps, car l’une comme l’autre sont de très belle facture.
Pourquoi faut-il voir ces deux séries ? Eh bien tout simplement parce que nous sommes des personnes concernées par le monde et par nos contemporains. Voici plus d’un siècle que nos campagnes se vident et que ceux qui les peuplaient migrent vers les villes devenues des mégapoles dénuées d’empathie. Toute cette population venue survivre dans les cités s’est retrouvée confrontée à d’immenses difficultés et rien ne les avait préparés à affronter. Peu à peu, ceux qui se tournaient naturellement vers dieu, le dieu de leur culture, pour obtenir des réponses ne les ont pas eues. Dès lors, ils en ont déduit que ce dieu n’existait pas et ils se sont peu à peu tournés vers d’autres formes de croyances, vers d’autres formes d’espérances. Dans de telles conditions, on comprend facilement que seuls ceux qui ont toujours vécu dans les villes, classe prospère, protégée, possédants et culturellement formés à croire en la religion de leur milieu, soient les seuls qui demeurent encore aveuglements fidèles à leur culte. La Manif pour tous en est l’exemple le plus parlant. On peut trouver, sur le sujet, bon nombre de littérature, mais, pour l’heure, je recommanderais simplement Le choc des civilisations de Samuel Huntington. Je le recommanderais d’autant plus que cet ouvrage est cité dans le premier épisode de Messiah, justement pour expliquer ce qui va se passer dans le déroulement de la série... comme si les auteurs avaient voulu, d’entrée, donner les clefs de l’histoire. Ainsi, pour paraphraser les complotistes, ce n’est pas un hasard, car la mutation géopolitique du Proche-orient y est très bien décrite.
Alors, quelle différence entre Messiah et Ragnarok ? Messiah est le reflet des peurs de nos religions, de la paranoïa de l’Amérique et, par extension, de la nôtre. Qui est cet homme, ce prêcheur que les foules suivent et qui inquiète les analystes de la CIA autant que ceux du Shin Beth ? Jésus venait de Nazareth en territoire Romain et Al Massih (le Mot) vient de Syrie et se dirige vers Israël avec, derrière lui, une cohorte de miséreux. Le schéma est identique. Il parle, fait des miracles, connait les noms et les phrases... Qui est-il ? Les cadres généraux du scénario semblent tout droit sortis des grandes inquiétudes formulées dans l’ouvrage collectif paru en 2018 : Le monde en 2035 vu par la CIA et le Conseil national du renseignement : Le paradoxe du progrès. Ne nous y trompons pas et soyons lucide. Cette série est américaine et Israélienne, les peurs sont ainsi très clairement identifiées. En fait, il s’agit de craindre une évolution, une mutation des aspects du terrorisme international : les croyances peuvent-elles être le support de la subversion et remplacer les bombes ?
Pour Ragnarok, l’angoisse est norvégienne mais identique même si l’option n’est pas immédiatement terroriste et ne porte pas sur les mêmes domaines. En effet, le scénario est destiné aux adolescents. Il aurait très bien pu être écrit par Greta Thunberg. Le personnage central a de grandes difficultés d’insertion sociale et le fil conducteur, l’écologie, car l’environnement se voit gravement pollué par les adultes. Alors, que viennent faire les croyances ? Tout simplement, dans les anciens mythes nordiques, au jour du Ragnarok, les géants, les démons qui ont tué les dieux sont restés sur terre et, aujourd’hui, ils détruisent peu à peu la planète. Alors, ce que le dieu des chrétiens ne peut pas empêcher, et bien l’un des anciens dieux va s’y atteler... Que les convictions plus ou moins tombées en désuétude, comme les mythologies nordiques sur lesquelles Ragnarok repose, soient encore présentes au fond des cultures scandinaves, cela ne fait aucun doute. Par conséquent, alors que les croyances des adultes mènent à l’immobilisme et détruisent l’environnement privant ainsi la jeunesse de son enfance pour citer Greta Thunberg, il ne restera plus aux adolescents que le choix de s’attaquer seuls aux géants. En fait, les anciens dieux sont, quelque part en eux et sont toujours présents.
Que l’on ne s’y trompe pas, Messiah comme Ragnarok ne sont des fictions que dans la mesure où ce sont des films. Cependant, pour ce qui concerne les Norvégiens, sait-on vraiment ce qui se passait dans la tête d’Anders Behring Breivik lorsqu’il a abattu de sang-froid 77 personnes sur l’île d'Utoeya en 2011. Et, pour Messiah, dans la série, à la suite de l’analyste de la CIA, demandons-nous ce qui pourrait se passer si un « Messie » envoyait ses fidèles détruire ce qu’il reste des tours de New York ?
Alors, imaginons que les vieilles religions soient encore d’actualité et que celles que nous pratiquons ne soient, en fin de compte, qu’une modernisation progressive des anciennes pratiques. Imaginons que les moteurs de la foi puissent encore être des outils politiques et géostratégiques sur les seuls endroits porteurs de ces conflits qui comptent assez pour les scénaristes de séries. Ces endroits, on le sait, sont ceux qui leur sont proches physiquement et idéologiquement, c’est-à-dire le Proche-orient et les États-Unis. Pour eux, ces zones de combats représentent toute la planète et l’acte terroriste qu’ils craignent plus qu’une bombe, c’est un homme seul et désarmé comme c’est le cas pour Messiah.
Après tant de trahisons religieuses, l’espoir ne se formerait-il pas, aujourd’hui, sous des formes bio-conservatrices exacerbées ?
Ces nouvelles croyances forgées de syncrétismes ne seraient-elles pas le moteur de nos craintes plus que de nos espoirs ? Et l’une de ces craintes ne serait-elle pas le retour d’un illuminé qui porterait en lui la destruction de ce qui forge les civilisations ? Un retour des anciens dieux pour combattre ce qui a échoué. Al Massih ou une imitation de Greta Thunberg semblent bien avoir la forme de ce prophète et le contexte, les actes, les mots rappellent sans cesse les visions de prédicateurs qui nous montreraient la voie. Mais laquelle ?
Alors, posons-nous la question : voyons-nous ce que nous croyons ou croyons-nous ce que nous voyons... Troisième option : ni l’un ni l’autre puisque ces deux choix renvoient à la même chose.
