Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Il paraît que plus rien ne sera comme avant. D’ores et déjà la crise sanitaire sans précédent que nous vivons bouleverse nos repères, nos vies et nos façons de penser. Le blog de Critica Masonica entreprend une série d’articles relevant quelques questions soulevées par le Covid-19, les questions qui ressortent, celles qui sont formulées différemment et celles qui apparaissent.
Lili Savary
Lors de sa cérémonie jupitérienne devant la Pyramide du Louvre, Emmanuel Macron s’avance pour une traversée de l’esplanade, tel Moïse face à la mer Rouge s’ouvrant devant lui. Il s’adresse victorieux à son équipe de campagne et à sa « Start up Nation » qui se sont déplacés pour l’écouter et l’applaudir, mais aussi à la bourgeoisie parisienne et de province qui trinque à sa victoire devant la télévision alors que déjà les ouvriers et la plèbe dansent et boivent à la Bastille pour se consoler de ce beau et jeune président que les riches - et ceux qui croient l’être - viennent d’élire.
« La mission de la France dans le monde est éminente. Nous prendrons toutes nos responsabilités pour apporter chaque fois que cela sera nécessaire une réponse pertinente aux grandes crises contemporaines. Qu’il s’agisse de la crise migratoire, du défi climatique, des dérives autoritaires, des excès du capitalisme mondial, et bien sûr du terrorisme ; plus rien désormais ne frappe les uns en épargnant les autres. Nous sommes tous interdépendants. Nous sommes tous voisins. » (1). Ce discours d’investiture, c’était sans imaginer la pandémie de Covid-19 et, avant, la grande grève sur la réforme des retraites et, encore avant, l’incendie de Notre-Dame de Paris, les Gilets jaunes, les attaques terroristes, etc. En effet, nous pourrions imaginer, qu’il ne manque à cette longue liste de malheurs que « l’invasion des sauterelles ». Mais, que l’on se rassure, bien que l’expression ne soit guère de circonstance, le pire reste à venir, certes pour lui, mais hélas, surtout pour nous.
Bien qu’il ait promis la lune, Macron le banquier, ce grand bourgeois de province ne pourra indéniablement pas éteindre le brasero de la révolte qui ne demandait qu’à s’enflammer depuis le mouvement « Nuit debout » et l’arrivée des black blocks. S’en suivra peu de temps après son élection, l’intervention violente d’Alexandre Benalla au cours d’une manifestation qui sera fatale aux débuts de son quinquennat. Puis finiront de l’achever ses interventions à lui, où il ne trouvera pas le ton pour s’adresser au peuple. Pis encore, il se pose en moralisateur et donneur de leçons avec ses petites phrases assassines, en tant que ministre comme, en tant que président : face à des chômeurs en T-shirt, il répond agacé : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre T-shirt : la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler. » (2) ; quand il s’essaie à la sociologie : « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien » (3) ; quand il reste droit dans ses bottes : « Je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes » (4) ou quand il explique à un jeune chômeur qu’« il suffit de traverser la rue pour trouver du travail » (5). Décidément, nous ne pouvons que le constater, ce président ne connaît pas les bonnes manières !
La France, ce grand pays des droits de l’homme où il est inscrit au fronton de chaque mairie la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », cet état de droit respectueux de la liberté individuelle et d’expression, oublie trop souvent qu’elle dispose d’un régime de démocratie libérale. Or le mot « libéralisme », associé à la mise en péril des services publics sous l’inspiration thatchéro-reaganienne, reste un « gros mot » dans la bouche de nos politiques français. Cela engendre un rejet de l’idée libérale faite pourtant, en politique, de pluralisme, d’alternance et de contre-pouvoirs. C’est pourtant cette France démocrate et libérale qui a élu en 2017 le plus grand néolibéral qu’il nous sera donné d’avoir comme président : Emmanuel Macron.
Une partie de la Gauche, celle qui est libérale au sens politique et keynésienne au sens économique, s’est d’abord ralliée au candidat Emmanuel Macron sur la base d’un libéralisme tempéré. Or ce libéralisme est finalement surtout économique et peu politique, c’est même le propre du néolibéralisme de La République en Marche (LREM).
Quant au Président banquier, il fait figure d’un bourgeois avide de reconnaissance et d’honneurs, celui dont l’ambition réside dans l’accès aux plus hautes sphères. Tout comme certains enfants rêvent d’être pompier ou gendarme, l’enfant Macron, lui, rêvait d’être président. Contrairement à ses prédécesseurs qui tous ont été de plus ou moins grands chefs de famille ou de parti politiques, Emmanuel Macron n’est pas l’homme d’un parti, il est le parti, un homme seul qui roule pour lui, ce qui va cruellement complexifier sa gouvernance et en faire le Président le plus solitaire. Même au sein de son équipe, les relations sont difficiles : Gérard Collomb qui fut le premier à le rejoindre et qui, tel Judas, lui donna le soir de son investiture le baiser de la trahison, a été dès les premières difficultés, le premier à le lâcher. Ce Président avec son côté précieux est apparu bien plus vindicatif qu’il n’y paraît. Lors de la crise des Gilets jaunes, il passe du stade de la « bouderie » durant quelques semaines à un retour presque triomphant nous annonçant son « Grand débat » qui tourne à une mise en scène de l’un face à la multitude.
Dans ce contexte, posons-nous la question de ce que sera « l’après » confinement. Pour cela, retournons au 12 mars, lors de ce qu’Emmanuel Macron appelle son « adresse aux Français » : « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties ». Ou bien encore, quand il déclare dans sa seconde « adresse », le 13 avril : « Je bâtirai un autre projet dans la concorde des jours meilleurs. Je tâcherai de dessiner le chemin qui rend cela possible. »
Pour poser cet « après », le Président devra faire face à une situation totalement inconnue avec la mise en place d’un déconfinement qui s'annonce plus que difficile sachant qu’il n’existe pour l’instant, ni traitement, ni vaccin contre ce Covid-19 qui peut, comme beaucoup le craignent, repartir du jour au lendemain. Ce Président des « très riches » (6) devra gérer une dépression économique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, mais aussi envisager une crise sociale. Il devra également rendre des comptes et faire face au procès sur le manque d'anticipation de l'État comme du Gouvernement dans la gestion de la crise sanitaire. Cette crise sanitaire sans précédent et le désastre économique et sociale qui s’ensuivra, le Président Emmanuel Macron y réfléchit, mais avec qui partage-t-il cette réflexion ? Son exécutif ? On en doute ! Le gouvernement est bien trop occupé avec les hôpitaux saturés, les morts qui se comptent par milliers, une France mise à l'arrêt par le confinement. Encore une fois, nous ne pouvons que souligner la solitude de ce Président qui laisse présager une fin de quinquennat bien hasardeuse et dont le coronavirus aura peut-être la peau.
Cet « après » dont on dit qu’il ne sera plus jamais comme « avant », que de fois ne l’a-t-on déjà entendu avec « plus jamais ça ». Cette pandémie nous a tous saisis de stupeur et sa situation surréaliste est venue soudain mettre fin à la quiétude de nos vies. Ce mal impalpable qui nous terrorise met le monde à genoux, tuant en grand nombre nos anciens que nous ne pouvons, en la circonstance, accompagner dans leur dernier voyage... Alors oui, cette pandémie laissera des traces. Cet « après », nous ne sommes en capacité de l’investir qu’au travers du prisme d’un « monde meilleur » avec toute la distanciation qu’il importe de donner au « monde meilleur » pour ne pas re-glisser irrémédiablement vers « le meilleur des mondes », celui des Alpha, des Bêta, des Gamma, des Delta et des Epsilon, ce monde cruel où nous sommes déjà.
Certains intellectuels, médias, politiques, se plaisent à dire ou à écrire que l’« après » verra la fin de la mondialisation et le retour à un monde de l’entre-soi. Si l’on se réfère à la grande épidémie de grippe de 1969 qui a fait plus de quarante mille morts en France et un million environ dans le monde, on ne peut que constater le peu d’impact qu’elle aura eu sur nos modes de vie, y compris nos comportements de consommateurs qui, on le sait, sont allés de Charybde en Scylla pour en arriver à l’affligeant constat que nous faisons aujourd’hui : pas de masques, pas de respirateurs, pas de blouses pour les personnels soignants, pas assez de médicaments, pas de testeurs du virus, etc. La fabrication de tous ces produits ayant été délocalisée dans le seul but de servir les intérêts des actionnaires. Quant aux façons de se comporter des consommateurs, elles dépassent l’entendement, il suffit de voir les queues interminables de ces dernières semaines devant les supers et hyper-marchés où les clients courent dévaliser les rayons de papier hygiénique, de farine, de pâtes... Ou la fuite à l’annonce du confinement des « bobos » parisiens et d’autres grandes villes vers les campagnes.
Le risque, c’est qu’une fois de plus, rien ne serve de leçon à l’individu dès que le mal qui l’a étreint s’éloigne. Au contraire, il a vite fait de reprendre sa vie avec pour compensation à sa misère une rechute dans tous les travers qui l’ont mené à sa perte. Nous pouvons craindre que non, hélas, le néolibéralisme ne mourra pas avec le Covid-19, il ne fera que changer de nom pour s’offrir un « post-néolibéralisme » ou un nouveau nom bien racoleur capable de faire passer la pilule, car personne, nous le savons depuis toujours, ne résiste au Veau d’Or.
Reste à espérer que le Covid-19 ne laissera pas place au virus de l’extrême droite, cet autre prédateur qui attend tapi dans les cendres du désespoir, pour ressurgir comme il aime à le faire croire, en libérateur du peuple. Qui sera face à Marine Le Pen en 2022 alors que la France ne se sera pas tout à fait relevée de la crise économique qui nous attend demain ? Le Président Macron n’aura pas droit à l’erreur lors de la constitution de son deuxième gouvernement dit « Gouvernement d’union nationale » qu’il envisage de mettre en place. Reste à espérer que cette présidence de la malchance voit le quinquennat se terminer auréolé d’un peu de chance… Il faudrait des idées d’alternatives et des femmes et des hommes pour les incarner, mais, telle sœur Anne, je ne vois encore rien venir !
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1. Extrait du discours d’investiture d’Emmanuel Macron, 15 mai 2017
2. Le 27 mai 2016, lors d’un déplacement à Lunel dans l’Hérault.
3. Le 29 juin 2017, lors de l’inauguration de Station F, incubateur de start-up.
4. Le 8 septembre 2017, lors d’un déplacement à Athènes.
5. Le 15 septembre 2018, lors des Journées du patrimoine.