Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Il paraît que plus rien ne sera comme avant. D’ores et déjà la crise sanitaire sans précédent que nous vivons bouleverse nos repères, nos vies et nos façons de penser. Le blog de Critica Masonica entreprend une série d’articles relevant quelques questions soulevées par le Covid-19, les questions qui ressortent, celles qui sont formulées différemment et celles qui apparaissent.
Olivier Berthelot
Dans la semaine du 12 au 20 avril, une étoile filante a parcouru les médias du monde : les femmes cheffes de gouvernement feraient mieux que leurs confrères masculins. Angela Merkel en Allemagne, Jacinda Ardern en Nouvelle-Zélande, Sanna Marin en Finlande, Erna Solberg en Norvège, TsaiIng-Wen à Taïwan…. Il y aurait une exception féminine dans la gestion de la pandémie ? Et reviennent à la pelle les stéréotypes de genre qui laissent à croire que la société du « care » que l’on nous promet comme nouvel idéal ne pourrait être implémentée que par des femmes. Ces dernières n’ont-elles pas, de par leur « nature », un sens inné du « prendre soin » et nos sociétés aux bords du gouffre ne doivent-elles pas être maternées ?
Prenons deux exemples cités par la presse pour mettre en avant ce don des femmes pour le « care. »
Il y a tout d’abord Erna Solberg, Première ministre de Norvège qui organise une conférence de presse destinée aux enfants et tenue strictement sans adultes. Elle y indique qu’il est normal d’avoir peur et prend, avec le plus grand respect, toutes les questions qu’elles portent sur l’organisation des goûters d’anniversaire avec ses amis ou sur la possibilité d’embrasser papy et mamy…
Ou encore Jacinda Ardern qui, questionnée sur Pâques lors d’une conférence de presse (pour adultes), répondit « Vous serez heureux d'apprendre que nous considérons la petite souris et le lapin de Pâques comme des travailleurs essentiels, mais comme vous pouvez l'imaginer en ce moment, ils seront probablement très occupés à la maison, avec leur famille et leur propres lapins. » Et la première ministre de proposer aux enfants d'accrocher un dessin d'œufs de Pâques : « parce que le lapin de Pâques pourrait ne pas arriver partout cette année ». Pour aider les enfants en mal d’inspiration, elle poste dans la journée un modèle d’œuf de Pâques sur son compte Facebook.
Enfilant les perles et surfant sur le conformisme, la presse déchainée dans son tour d’horizon mondial ouvre la porte à un autre stéréotype : la bonne gouvernance est avant tout occidentale. Où sont, dans la liste de bonne guvernance, Sahle-Work Zewde (Éthiopie), Sheikh Hasina (Bangladesh) ; Saara Kuugongelwa-Amadhila (Namibie), Bidhya Devi Bhandari (Népal) ?
Ces femmes ont disparu de la carte, ou alors on ne s’en rappelle que lorsqu’elles tiennent un discours, comme celui de Silveria Jacobs, (Saint-Martin) dont le caractère éminemment pragmatique autour du pain, des céréales et du papier toilette permet aux machos de tous les bords de se sentir confortés dans leur opinion : les femmes c’est le domestique, aux hommes les choses sérieuses.
Pendant ce temps-là, Donald Trump, Président des États-Unis d’Amérique en est peut-être resté à se demander, comme en 2005 selon les révélations du Washington Post, si « attraper les femmes par la chatte » est dangereux en période de Covid19. Ce ne serait pas surprenant quand on apprend qu’il a osé déclarer, le 23 avril 2020 : « Le désinfectant élimine le virus en une minute. Et peut-être y a-t-il un moyen d'en injecter dans le corps, ou au moins nettoyer l'organisme, les poumons ? En tout cas, ce serait judicieux de tester cela » ou d’avoir recours aux UV à l’intérieur du corps : « Supposons que nous exposions le corps avec un énorme ultraviolet ou simplement une lumière très puissante, je pense que cela n’a pas été vérifié, mais vous allez le tester. »
Finalement, la question ne serait-elle pas symbolique de la difficulté des hommes politiques à répondre aux défis autrement que par la force et les discours guerriers ? Entre les régimes à tendance totalitaires d’Europe de l’Est qui en profitent pour renforcer leur pouvoir ou engager des élections présidentielles par la poste et sans campagne (Pologne) et les « Nous sommes en guerre » à répétition d’un Emmanuel Macron, dans son adresse aux Français du 16 mars 2020, nos chefs d’État masculins semblent se donner à cœur joie dans le renforcement des stéréotypes de genre.
Nous pourrions répéter ad nauseam cette rhétorique renvoyant dos à dos hommes et femmes enfermés dans leurs genres. Mais est-ce cela une démarche pertinente ? Ne sommes-nous pas là enfermés dans une dialectique qui nous fait oublier l’essentiel ? Cet essentiel si bien décrit par Vercors dans Les Animaux dénaturés (1). Dans ce livre, Vercors nous rappelait que notre première identité est notre statut d’être humain, au-delà de toutes nos différences de genre, de culture, de sensibilité. Vercors s’y interroge sur la frontière qui distingue les hommes des animaux. Qu’est-ce que l’humanité ? Des explorateurs avaient découvert au fin fonds d’une forêt équatoriale une espèce humanoïde à la corporalité proche du singe, mais aux capacités proches des hommes. L’enjeux est alors de savoir si cette nouvelle espèce est formée d’animaux domesticables dont on pourrait utiliser l’habileté à des tâches de production ou d’êtres humains auxquels il faut conférer droits et devoirs. S’ensuit une réflexion philosophique pour savoir ce qui distingue l’homme de la bête. Nous laisserons au lecteur le soin de découvrir les conclusions de Vercors. Conclusions d’autant plus difficiles à donner que nous avons tous en nous une face d’ombre.
Seul doute levé à ce stade, le petit amphibien aveugle baptisé Dermophis donaldtrumpi, s’avère être plus proche de l’animal que de l’humain.
Mais gardons en tête que le monde d’après ne se construira pas par une compétition mortifère entre vertus féminines et forces masculines, mais bien par le rappel qu’avant d’être des hommes et des femmes nous sommes des êtres humains. Et que c’est par la raison et non l’animalité que nous saurons transformer cette crise en chance pour l’humanité.
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1. Vercors, Les animaux dénaturés, Albin Michel, 1952.