Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Fondée en 1965 la revue trimestrielle Points de vue initiatiques, aujourd’hui sous-titrée « Vivre la tradition », éditée par la Grande loge de France (GLDF) en est à son numéro 196 (juin 2020). Son dernier numéro est consacré à la seconde partie d’un diptyque « Franc–maçonnerie et christianismes ». Dans l’éditorial, Robert de Rosa note : « les articles montrent que la franc-maçonnerie n’a jamais été une religion de substitution (et) que les textes dits sacré y occupent une place originale ».
Tout est dit dans cette phrase qui mérite d’être discutée. D’abord, existe-t-il une seule franc-maçonnerie ? Probablement pas car, concernant la GLDF, d’une part elle est purement masculine, ce qui relève aujourd’hui d’une sorte de discrimination rare dans la société, d’autre part les sujets d’intérêt qu’elle met en valeur sont loin de correspondre à ce que sur quoi travaillent d’autres maçonnes et maçons, fussent-ils croyant(e)s, moins éloigné(e)s de la réalité sociale. Quant à savoir s’il existe des christianismes ou des variantes d’une seule et même légende, le débat reste ouvert.
Cette maçonnerie masculine et spiritualiste est installée dans un univers concurrentiel. Pour ce qui concerne l’univers de l’édition qui nous est familier, la Grande loge de l’Alliance maçonnique française (GL-AMF), la Loge nationale française (LNF) et la Grande loge nationale française (GLNF) publient également des revues de même orientation philosophique. Points de vue initiatique traite en fait de sujets post religieux qui prennent d’autant plus de force et de vigueur que le christianisme (mis à part les formes fort peu intellectuelles de protestantisme évangéliste) achève de s’étioler en notre douce France. Du coup, c’est tout un corpus de ce qui s’appelait jadis les hérésies qui se trouve disponible, sans le moindre risque de condamnation au bûcher ou à l’exil, du noachisme au jansénisme. Cet univers d’interprétations qui inclut le corpus vétéro-testamentaire, se croise avec la liberté de conscience. La notion de Grand architecte de l’univers peut constituer une sorte de minimum central dans lequel chacun est libre de construire son syncrétisme personnel en permanente évolution. La gnose, dont il a été souvent question dans Critica Masonica, sous la plume d’Adon Qatan, fait également partie du menu.
La numéro précédent (195, mars 2020) que nous avons également reçu traite d’un autre classique de cet univers spiritualiste : « L’initiation en questions. L’initiation au XXIe siècle. Que chercher ? Le souffle de l’esprit. Accompagner le néophyte. Désir et joie. Initiation vaudou. » En un mot, c’est la notion de sacré qui est ici tenue à bout de bras, face à une désacralisation du monde dont le principal agent n’est pas la progression inexorable, mais lente, de l’athéisme, mais le système néo-libéral dans lequel nous vivons toutes et tous. On pourrait s’interroger sur l’idée de progression que mettent en avant les éditoriaux, dans la mesure où les sujets traités sont tous égaux d’intérêt et facilement ramenés, dans une vulgate anthropologique à l’expression d’universaux, voire d’invariants.
Magnifiquement illustrée, cette revue, vendue 8 euros et donc forcément subventionnée par l’obédience, est construite autour de texte courts, ce qui correspond à une pratique de lecture aujourd’hui difficile, eu égard à l’abondance des sollicitations. Plusieurs artistes font d’ailleurs l’objet d’articles.
On notera dans ce numéro 195, un seul papier historique de Jean-Pierre Thomas, « La sortie des bannières maçonniques à Paris en 1871 », un rappel du rôle des maçons au moment de la Commune, qui souligne que le Grand orient, par la voix son Grand-Maître Badaud-Larivière parla alors de « sédition qui a épouvanté l’univers », tandis que des personnalités restées célèbres comme Jean-Baptiste Clément et son Temps des cerises maçonnaient au Suprême conseil.
L’auteur a raison de souligner qu’il serait hasardeux de parler d’un Grand orient de gauche et d’une Grande loge de droite. Il y eut jadis des chrétiens de gauche et de droite, il y a des athées et des spiritualistes de gauche et de droite, voire d’extrême-droite.