Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Depuis le décès de Valéry Giscard d’Estaing (VGE) le 2 décembre 2020, chaque commentateur ne manque pas de le comparer à l’actuel locataire de l’Élysée. Il y a certes des points de convergence (I). Si la comparaison de Nicolas Sarkozy à VGE aurait plus de sens (II), ne faut-il pas introduire François Hollande dans ce petit jeu des comparaisons ?
VGE avait inauguré la mise en scène de sa vie privée au service de sa vie politique dès 1974. Ses successeurs les plus récents -hormis Emmanuel Macron, plus discret sur le sujet- ont suivi le même chemin.
Ainsi VGE « choisit de poser avec sa fille cadette sur l’une de ses affiches pour l’élection présidentielle. ʺJ’ai voulu que ma fille soit présente sur les affiches, car je trouve qu’une photographie de moi tout seul aurait fait tristeʺ (France Soir, 12 mai 1974). C’est vrai que question rigolade, on s’y connait chez les Giscard : Jacinte (c’est le prénom de ladite fille, mais sa mère s’appelle bien Anne-Aymone !) pose comme une plante verte (je sais c’est un peu facile) en écoutant son père » (1). VGE récidive quand il expose son épouse lors de ses vœux télévisés du 31 décembre 1975.
Nicolas Sarkozy a étalé sa vie privée, depuis son divorce avec Cécilia Ciganer jusqu’à sa relation puis son mariage avec Carla Bruni. En conférence de presse le 8 janvier 2008, il n’hésite pas à déclarer : « Avec Carla c’est du sérieux ». La présence du couple dans la presse people prend alors des allures de feuilleton de pré-prime time.
Le gagnant est toutefois incontestablement François Hollande, dont la vie privée est venue régulièrement interférer dans les affaires publiques : sa compagne, Valérie Trierweiler, a soutenu un candidat à l’élection législative de La Rochelle contre l’ex-compagne Ségolène Royal (Tweet du 12 juin 2012), la révélation de sa relation avec Julie Gayet s’est faite par le magazine Closer (10 janvier 2014) et fut suivie d’un communiqué d’une grande délicatesse de l’Élysée annonçant « j'ai mis fin à la vie commune que je partageais avec Valérie Trierweiler » (25 janvier 2014) et de la publication du récit accablant de Valérie Trierweiler (Merci pour ce moment, éditions Les Arènes, 2014) ! On comprend mieux pourquoi Emmanuel Macron a su garder ses distances avec cet héritage de VGE.
Mais il est un autre héritage que tous partagent : c’est la dérive sécuritaire. Il faut bien entendre par « dérive » non pas les mesures exigées par la sécurité, mais les sur-mesures prises qui, tout en portant atteinte aux libertés, ne sont pas efficaces ou se trompent de cibles.
Il faut se rappeler ces années 1970 : VGE fait procéder aux trois dernières exécutions capitales en 1976 et 1977. Michel Poniatowski, ministre de l'Intérieur, envoie l’armée en Corse. Alain Peyrefitte, ministre de la Justice, fait adopter la loi dite « Sécurité et Liberté » que Jacques Chirac ne vote pas et que François Mitterrand promet d’abroger s’il est élu.
Nicolas Sarkozy s’appuie sur son fidèle ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, d’ailleurs surnommé « le Ponia de Sarko ». Il prononce un discours à Grenoble le 30 juillet 2010 qui marque une nouvelle inflexion sécuritaire. Deux affaires viennent pourtant souligner les erreurs de cible du président.
D’abord, en janvier 2017, la Cour de cassation écarte définitivement la qualification de terrorisme retenue envers Julien Coupat et plusieurs membres de la communauté de Tarnac accusés d’avoir saboté des lignes de chemin de fer. En avril 2018, devant le tribunal correctionnel de Paris, la présidente du tribunal conclut dans son jugement : « le groupe de Tarnac était une fiction ». Julien Coupat avait pourtant été arrêté dès 2008 lorsque Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, alertait sur la menace de « l'ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome » et ses attentats à venir.
Ensuite, en juin 2010, la Cour de cassation met fin aux poursuites que Nicolas Sarkozy a engagées depuis 2002 contre Hamé du groupe La Rumeur. À l'origine, la publication en avril 2002 par Hamé d'un texte dans un fanzine. Le texte intitulé Insécurité sous la plume d'un barbare évoquait les bavures policières et mentionnait « les centaines de nos frères abattus par les forces de police ». L'acharnement de Nicolas Sarkozy s'explique par la peur d'un ministre, puis d'un président, prisonnier de son discours sécuritaire alors que les résultats se font attendre.
La fin du mandat de François Hollande connaît également des dérives. Les manifestations donnent lieu à des violences de plus en plus systématiques : par exemple à Sivens en octobre 2014 contre le projet de barrage ou à Paris au printemps 2016 contre la loi dite « travail »... En novembre 2015, François Hollande propose une réforme inspirée par la droite : la déchéance de nationalité pour les auteurs d'actes terroristes.
Aujourd’hui, Emmanuel Macron soutient la proposition de loi dite « sécurité globale » et le projet de loi contre les séparatismes devenu « confortant les principes républicains ». Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, multiplie les déclarations de matamore et les provocations pour tenter de stopper la fuite des électeurs vers l’extrême-droite, hantise de tous ces présidents. Et, entre le terrorisme et la crise sanitaire, la France ne quitte plus l’état d’urgence qui autorise la concentration des pouvoirs. Plutôt que de se féliciter sur tel ou tel aspect de l’héritage giscardien, il faudrait s’interroger sur cette dérive sécuritaire qui semble emporter toutes les fins de mandat présidentiel.
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