Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Composer avec les moutons (Cardère éditeur, 2016) n’est pas une apologie de la « servitude volontaire » chère à Étienne de La Boétie. L’ouvrage s’inscrit même plutôt à l’opposé de ces affiches de mai 68, « Retour à normale » ou « Ne soyez pas des moutons », stylisant des troupeaux obéissants et résignés. La philosophe Vinciane Despret et le chercheur en sciences animales Michel Meuret ont fait le choix inverse, celui d’écouter parler des bergers de leur métier. Des bergers mûs par l’amour des animaux, souvent encouragés par une rencontre qui a déclenché leur choix de résistance et d’affirmation.
Ces bergers étaient remisés « au rang des outils agricoles obsolètes » et souvent remplacés par des clôtures. Car, jusqu’aux années 1990, la gestion des troupeaux a été simplifiée à l’extrême, écrasant toute diversité et réduisant les animaux à des êtres conditionnés.
Le métier de berger tel qu’il s’exprime ici passe « par un exercice constant de l’attention ». C’est cette attention qui fait comprendre comment les brebis plus âgées transmettent la mémoire des lieux. Il passe aussi par la confiance qui fonde la possibilité d’apprentissage entre les brebis et le berger. Le recours au chien n’intervient que comme un rappel : « mener les brebis à être libres dans une contrainte qui s’efface et qui n’est plus là que pour des réajustements ».
La conduite de ces bergers consiste en « des habitudes à acquérir et à cultiver pour vivre ensemble, et le faire bien » ; « la capacité de s’engager dans une composition commune », bref de faire troupeau. Comme l’écrivent les auteurs, « il est rare, très rare, qu’on parle de la manière dont les animaux apprennent aux humains à leur apprendre », c’est pourtant ce qui se passe entre l’être humain et les animaux : « j’agis dans le monde de l’autre et l’autre agit dans mon monde ».
« Susciter de la confiance, créer de la cohérence, et en même temps se laisser guider par ce que savent malgré tout les brebis, même les plus inexpérimentées, implique curiosité, patience, interconnaissance, anticipations, essais et erreurs » pour « fabriquer un monde commun ». En à peine 150 pages, Composer avec les moutons nous invite intelligemment et avec succès à repenser nos rapports avec les animaux.