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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« La grande confusion. Comment l’extrême-droite gagne la bataille des idées. » de Philippe Corcuff

Jean-Pierre Bacot

Voici un gros pavé, lancé dans un marécage que décrit Corcuff au long d’un gros livre très bien construit, même pas cher (26 euros, pour 672 pages). En introduction, l’auteur cherche à établir « une théorie critique de la confusion d’aujourd’hui », ce qui d’entrée solidifie un propos qui va s’appuyer sur une culture étonnante. Corcuff regarde ensuite en détail ce qu’il en est du dérèglement d’une bonne partie de la critique sociale, devenue presque impuissante face au brouillard idéologique présent. À lire ces lignes, on s’aperçoit qu’il était grand temps que quelqu’un se mette à ce gros travail, qui ne ravira pas la foule des personnages mis en cause, longues citations à l’appui, ni leurs thuriféraires.

Point central de l’ouvrage, les déplacements confusionnistes en cours de l’extrême-droite à l’ultragauche en passant par la droite et la gauche, ce qui peut faire froid dans le dos ; le Rassemblement national et sa présidente s’emploient à accentuer ce phénomène en brouillant volontairement les cartes et la situation ne s’arrange pas. Un tel délitement est causé en partie par l’inculture du monde politique en matière de sciences sociales, c’est à dire de connaissance fine des idées. C’est l’idéologie qui règne, mais sans avenir radieux.

La partie centrale du livre montre avec force détails comment la frontière, autour de laquelle se constatait jadis un front républicain antifasciste, semble avoir disparu. Avec de nombreuses citations et quelques paroles de chansons (les citations d’Eddy Mitchell figurant en majesté dans l’ouvrage), l’auteur déroule les discours, met en avant de nombreux auteurs qui, chacun à leur manière, ont abandonné l’idéal des Lumières et ont baissé les bras quant à ce qui fut leur idéal d’émancipation.

Résolument hostile au néolibéralisme, Philippe Corcuff, qui campe aujourd’hui sur des positions libertaires, insiste sur le fait qu’à son avis le néofascisme reste l’adversaire principal des progressistes de tout poil, dans la mesure où il reste porteur de racisme, d’homophobie, n’est pas avare de démagogie et réactive une notion de nationalisme qui semble séduire aujourd’hui bien au-delà se ses rangs. La question des priorités dans l’adversité, entre un néolibéralisme de plus en plus autoritaire et un post-fascisme adouci, est de celles qui feront le plus s’interroger, si ce n’est s’étriper certains dans les prochains mois.

En socio-historien et néanmoins politiste, Philippe Corcuff parcourt l’histoire politique et intellectuelle du jeune XXIe siècle pour démontrer comment on a pu en arriver à cette réalité qui a inspiré à l'auteur le titre de son livre, « la grande confusion ». Le fait que l’extrême-droite ait construit une véritable hégémonie culturelle et politique, parallèlement à une sorte de poubellisation de la pensée gramscienne, mise à toutes les sauces est hélas avéré. Une telle épistémologie en marche (si l’on ose dire) nous fait du bien.

La plupart des intellectuels et des dirigeants politiques de tout le spectre politique, notamment français, sont passés à la moulinette dans cet ouvrage salutaire. Le lecteur trouvera sans aucun doute matière à s’étonner que tel ou telle de ses idoles se fasse étriller. Mais l’auteur l’explique bien - lui qui fit un parcours inverse à la biographie classique d’un grand nombre de politiques, issu du parti socialiste tendance chevènementiste, pour rejoindre la fédération anarchiste, en passant par les Verts et le Nouveau parti anticapitaliste de culture trotskiste - il faut savoir remettre sa pensée en jeu.

En conclusion, l’auteur en appelle au retour d’un idéal d’émancipation, dans un champ idéologique qui serait déminé, et avec une logique d’adversité non agressive. Reste à définir la nature et le champ de cette émancipation, mais il est vrai qu’elle ne peut advenir qu’au prix d’une clarification. Celle-ci interviendra sans doute pour partie d’elle-même quand on sera enfin sorti du règne du virus et que des élections de tous niveaux auront eu lieu, sans parler d’inévitables mobilisations du troupeau de dindons de cette farce confuse. À moins que le néo-keynésianisme à la Biden qui s'invite miraculeusement à l'ordre du jour ne vienne rebattre les cartes et donner un second souffle au réformisme…

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Je ne vais pas commenter ni sur le livre, ni sur l'auteur, ne connaissant ni l'un, ni l'autre. Je découvre Pierre Corcuff ici même grâce à cet article. Quitte à paraître ou mesquin, ou pingre, ou complètement déphasé des réalités du monde, je réagis au bout de phrase suivant: "...même pas cher (26 euros, pour 672 pages)." on pourra toujours me dire que, rapporté au nombre de pages, cela nous met la page à 0,038 €. A titre de comparaison, par exemple, "L'archipel français de Jérôme Fourquet", en Points/Seuil, à 11,90 € les 513 pages, nous fait 0,023 € la page. "Le dictionnaire critique à l'usage des incrédules", d'Albert Memmi, aux éditions du félin/ le félin de poche, nous affiche 13 € les 541 pages, soit 0,024 € la page. Et, en cette année où l'on parle beaucoup de la Commune, un livre chez Babel, la collection de poches de Actes Sud, par exemple, de Nicolas Chaudun, "Le Brasier, le Louvre incendié par la Commune", est de l'ordre de 0,038 € la page pour un total de 198 pages et 7,70 € à la caisse. On voit par là que, à mon humble sens, 26 € un bouquin, il m'est très difficile de qualifier un tel prix de "même pas cher". Peut-être parce que je suis un lecteur un peu plus lecteur que d'autres, j'achète vau maximum en édition de format de poche et assez rarement au delà. Du coup, pas cher pour un bouquin c'est jusqu'à environ 15-18 €. Au delà, il faut vraiment que le bouquin en vaille la peine, ou l'auteur. Finalement, n cette matière, comme en d'autres, tout dépend du point de vue où on se place. Au delà de 20 €, un livre me paraît cher, alors 26 €, si on fait l'achat, ça frise la passion, Ginette! C'est comme les nuits d'hôtel, ou certains menus, à partir de quel prix estimera-t-on qu'on n'y prendra plus de plaisir? En matière d'argent, chacun à son unité de mesure, et cette unité ne dépend pas forcément, ou en tout cas pas uniquement des capacités financières de chacun. En conclusion, très subjectif l'appréciation du prix, de la valeur, d'un bien. Et surtout d'un bien intellectuel. Derrière le même livre, chacun y mettra-t-il, et là je ne parle plus d'argent, la même chose?
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