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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

La Raison (n° 660) : à boire et à manger

Jean-Pierre Bacot

Une fois n’est pas coutume, on va critiquer un tantinet. Ces bémols sont à prendre pour un appel au travail, au calme et à la tolérance à un moment ou la famille progressiste n’est pas au mieux de sa forme et où le camp laïque nous semble risquer d’être à deux doigts d’exploser.

Ce numéro de La Raison nous promène d’abord dans ce qui existe, en Europe, comme formes d’obscurantismes à combattre et comme rares victoires à célébrer. On commence par l’Italie et le scandale des cimetières à fœtus, puis on continue avec la distribution d’eau bénite anti-covid à Vannes en Bretagne, la crèche de la mairie de Beaucaire, l’autorisation enfin acquise de l’euthanasie au Portugal. Viennent ensuite les manifestations polonaises contre la quasi-interdiction de l’avortement. La revue s’intéresse également à la construction délicate de l’indépendance écossaise et aux relents de nazisme en Flandres, sans oublier le scandale des foyers de mères célibataires en Irlande. Suit une analyse de Fernando Estéban Lozada sur la manière dont le Vatican a géré au cours de l’histoire la question de l’avortement. Le catholicisme en prend pour son grade.

Par ailleurs Charbel Nahas s’intéresse aux problèmes économiques du Liban en proposant des solutions dans un ouvrage que chronique positivement Christian Eyschen, avant un article de Jean-Sébastien Pierre sur des rapports d’experts internationaux qui soulignent le fait qu’un million d’espèces seraient menacées. L’auteur, s’il adhère à la nécessité de protéger la nature, conteste les nombres avancés comme d’inutiles éléments d’inquiétude présentés au public.

Pierre-Yves Ruff se penche quant à lui sur la vie et l’œuvre de Ferdinand Buisson et sur son rapport à la notion de neutralité, pour préférer à cette notion jugée trop molle celle de liberté de conscience. La dérision faite au passage de Jeanne d’Arc et de ses visions serait-elle transposable à d’autres religions ? La question n’est pas posée, mais on nous aura compris.

Arrivent ensuite les nouvelles nationales. Christian Eyschen accuse le gouvernement de bégaiement aggravé, avec sa loi sur le séparatisme qui lui rappelle ce qui fut jadis installé par le pouvoir comme constitution civile du clergé ou comme décret impérial sur les créances des Juifs. La reprise de communiqués de la Libre pensée donne le détail des ressources de l’Eglise catholique, à toute fin de montrer que cette dernière n’a pas à se plaindre. Bis repetita la Sainte Église catholique apostolique et romaine est étrillée dans la bonne tradition anticléricale. On ne s’en plaindra pas…

Ceci dit, notons qu’en fin de revue, un hommage est proposé à Vassilis Alexakis romancier, auteur de théâtre et dessinateur grec, qui vient de disparaître et qui fut un pourfendeur de l’obscurantisme orthodoxe. Il n’y a donc pas que les catholiques à prendre des coups dans la revue.

La note de lecture que propose Christian Eyschen du livre de Pierre Goneau, « Avec Dieu, on ne discute pas » mérite de notre part quelques remarques. Nous y venons. Christian Eyschen reproche à l’auteur de l’ouvrage de citer Guislain Chevrier (membre du comité Laïcité et République- c’est nous qui précisons), qualifié de « xénophobe anti musulman ». Sans nous prononcer sur l’éventuelle nocivité du personnage, il faut se méfier en le qualifiant. On peut être en effet en théorie xénophobe, voire raciste anti arabe ou anti persan, ce qui est une bien vilaine attitude, s’entend. Mais quoi qu’il en soit, l’Islam n’est pas une ethnie, à moins d’essentialiser certains peuples par leur religion, ce qui ne serait pas bien non plus, n’est ce pas ? Ensuite, il n’y a pas de perte d’influence du religieux dans le monde, sauf en Europe et dans le nord des États-Unis, au Canada et quelques autres contrées. Il y a même des pays comme la Russie, la Hongrie ou la Pologne qui se rechristianisent dans un contexte lié au nationalisme qui mériterait d’être étudié en détails. Les États-Unis sont le terreau d’un double mouvement, l’athéisation à l’européenne, surtout sensible dans le nord et la rechristianisation des évangélistes « born-again » dans le sud. La frontière de la guerre de Sécession est encore prégnante. Quant à l’instrumentalisation religion/politique, elle fonctionne à double sens et l’enquête, là-aussi, serait à mener pays par pays. Il existe des études. Il faudrait les lire.

L’article d’Emily Chamoux « Foutons la paix à Samuel Paty » fera lui aussi causer dans les chaumières. Il nous paraît archétypal de ce qui divise actuellement la planète laïque. En gros, il est reproché à la droite d’instrumentaliser cette affaire d’un enseignant décapité par un islamiste, lequel terme n’est d’ailleurs étrangement pas inscrit dans l’article. L’islam radical n’est mentionné que par son instrumentalisation. Dont acte. Mais on ne peut pas tordre le réel en se contentant d’une analyse fonctionnaliste. Quoi qu’on en pense, l’heure est grave, les coups pleuvent en ce moment et ce n’est pas de bon augure. La guerre de position risque de faire des dégâts irréparables entre laïques de diverses sensibilités se traitant réciproquement d’islamophobes et d’islamo-gauchistes. L’article consacré en fin de numéro par Dominique Goussot à un enseignant menacé, Didier Lemaire est à ce titre d’une agressivité proprement incompréhensible et ce genre d’attitude peut laisser des traces irréparables.

Notons, pour que la confusion s’éclaircisse quelque peu, la déclaration commune en fin de revue de la fédération nationale de la libre pensée et du groupe parlementaire de la France Insoumise contre la fameuse loi « séparatisme », chère au Président de la République. Cette histoire d’amour se poursuit en quatrième de couverture avec une contribution de la Libre pensée à la campagne « Nous sommes pour » lancée par les partisans de Jean-Luc Mélenchon, lequel retrouve du coup certains de ses anciens amis trotskistes lambertistes, lesquels, alliés aux libertaires refusent cependant quelques propositions de la France insoumise, dont le service civil.

Venons-en à la sociologie, Michel Éliard se demandant en quatre pages où va cette discipline. Elle va bien, merci pour elle, mais encore faudrait-il, avant d’en parler, la connaître autrement que par la mise en place d’une grille marxiste-trotskiste orthodoxe. L’exécution, en trois coups de cuiller à peau, de Bourdieu mériterait un sourire si ce n’était pas si grave. L’analyse fine des déterminations de classe, des divers rapports de domination, le recours à l’enquête que nous proposent encore aujourd’hui des sociologues comme Bernard Lahire et son récent pavé « Enfances de classe ». Tout cela prouve que la sociologie française est tout, sauf de droite. Nous avons eu l’occasion, sur ce blog de chroniquer plusieurs ouvrages.

Plus largement, avec Axel Honneth et sa théorie de la reconnaissance et tout ce qui sortit en termes de théorie critique de l’École de Francfort, la liste est fort longue des recherches qui pourraient être autant de soutiens à une politique d’émancipation. Mais, comme le note Philippe Corcuff dans son livre récent La grande confusion, paru chez Textuel, les politiques manquent cruellement de culture en matière de sciences humaines.

L’un des articles les plus intéressants de ce numéro, très documenté, est signé John Barzman et reprend une communication donnée à un colloque organisé à Villemoyenne, dans l’Aube, le 2 novembre 2019, en hommage à Paul Meunier et Jules Durand. Le premier s’est illustré dans la défense des soldats condamnés durant la première guerre mondiale ; le second fut condamné à mort, puis heureusement innocenté, à la suite d’une grève des cheminots en 1910 qui avait vu mourir un non-gréviste armé. Ces deux personnages, dont la saga est narrée dans le détail, ne sont pas des seconds couteaux, nous explique l’auteur, mais des personnages-type d’une époque où certains firent preuve de courage.

En rapide conclusion, prenons date, avant d’être toutes et tous renvoyés à nos chères études, qu’il faut se calmer et enquêter, comme disent ces sociologues que les politiques n’aiment pas. Encore un sujet à étudier. En attendant, plus que jamais, nous sommes toutes et tous Charlie. Amen.

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