Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
À suivre de près ce qui se dit et s’écrit sur la laïcité, il est permis aujourd’hui d’avoir peur pour le camp du progrès qui, sur ce point, est en passe d’ajouter un élément à son éclatement.
On peut considérer qu’il existe essentiellement deux camps, moyennant quelques variantes, dans ce débat. Ces tendances s’invectivent copieusement, les uns parlant à propos des autres d’islamo-gauchisme, de naïveté et de complaisance sans borne pour l’islamisme, les autres pensant que les musulmans sont les nouveaux prolétaires et sont victimes de racisme, ou que l’islamisme dans notre pays est lié au traitement réservé à l’immigration. Chacun des deux accuse l’autre de faire le jeu de la droite néolibérale et de l’extrême droite postfasciste.
Ce débat traverse la gauche social-démocrate, pour ce qui en reste, la gauche radicale (combien de divisions ?), les variantes de libre pensée, mais aussi certaines familles de droite et ce qui demeure minoritairement comme catholicisme organisé. Or nous savons que les guerres civiles sont les plus affreuses et il faut donc s’attendre au pire. Ne faisons pas de notre conception une identité, ni de nos proches des traitres en puissance. Comme le rappelle fort justement l’historien Roger Martelli, « L’identité, c‘est la guerre »[1].
L’heure étant, comme chacun le sait, à de prochaines élections en France, de tous niveaux et aussi masquées que cruciales, il faudra savoir raison garder et ne pas jeter la tolérance aux orties. Un probable candidat aux présidentielles propose un référendum sur la laïcité, une ministre veut lancer des assises, d’autres se saisissent de cruels faits divers pour enfourcher le thème d’une immigration criminogène. Il est temps que les progressistes prennent acte de leurs désaccords et s’organisent autour de ce qui demeure leurs points communs, notamment en termes de justice sociale.
Si le cessez-le-feu n’a pas lieu rapidement à propos de cette patate chaude qu’est devenue la question de la laïcité dans une France largement déchristianisée, alors les historiens vont se mettre de la partie pour éclairer le débat, rappelant, entre autres réalités douloureuses, que Jules Ferry fut un bourreau de la Commune de Paris, que les laïcards furent des colonialistes acharnés, que l’Islam fut aussi colonisateur, etc.
Si d’aventure les obédiences maçonniques mettaient un doigt dans la machine infernale, cela risquerait fort de mettre le feu dans les loges et les congrès. Lesdites obédiences feraient bien mieux de se lever contre les mesure attentatoires aux libertés qui pourraient bien un jour les menacer (regroupées en sécurité globale ou intérieure). Est-ce leur recrutement qui les fait se taire ? Est-ce le primat de leur communication dans un univers concurrentiel qui les rend si frileuses ? Serait-ce simplement qu’elles tournent désormais à vide ?
Quant aux maçonnes qui se piquent de féminitude en robe noire, les voilà devenues bien timides à ne rien nous dire du fait que les femmes sont plus chargées et plus maltraitées que jamais en cette période de Covid, et que l’émancipation féminine semble se limiter à certaines catégories sociales et géographiques.
L’avenir nous dira si la majorité des musulmans, européens ou autres, se sécularisent, si la Turquie revient à la laïcité, si l’Iran se décrispe, en un mot si le paysage se calme. Il faudrait pour cela des années d’une politique sociale ambitieuse. Mais le keynésianisme semblant se réveiller là où on ne l’attendait pas, de l’autre côté de l’Atlantique, tout espoir n’est pas perdu.
Dès lors, on pourra revenir dans les loges et ailleurs à la philosophie et à la sociologie, en réfléchissant à la géographie et à l’aspect de classe des émancipations, au maintien des lumières que certains veulent éteindre, à la nature du peuple dont la religion est l’opium.
[1] Roger Martelli, « L’identité, c’est la guerre », éditions Les Liens qui Libèrent, 2016.
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