Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
L’affiche du second tour de l’élection présidentielle de 2022 serait déjà arrêtée : Marine Le Pen affronterait Emmanuel Macron. Mais comme, d’une part, les Françaises et les Français aiment déjouer les doctes affirmations pré-électorales et comme, d’autre part, les cycles politiques s’accélèrent avec les incertitudes encore renforcées de la crise du coronavirus depuis un an, Critica Masonica propose d’engager un exercice de politique-prospective-fiction pour imaginer des candidates et des candidats qui échapperaient au match retour de 2017. À vos plumes...
4/ Les écolos : sans pétrole, sans idées ?
Alban Corso
Le dernier baromètre Kantar (1) sur l’image du Rassemblement national (RN) donne indirectement un indice intéressant sur un paradoxe de l’écologie en France : 35% des sondés seraient satisfaits que leur région soit présidée par un écologiste. C’est le meilleur score enregistré, 10 points devant les Socialistes, 14 devant les Républicains et même plus du double du score enregistré par un hypothétique président nationaliste, alors que ces trois partis sont donnés gagnants dans l’une ou l’autre région française. Alors voilà, les écolos sont-ils aux portes du pouvoir ? Pas vraiment.
Forts de leurs résultats aux élections européennes de 2019 où ils ont remporté 13,48% des suffrages et sont arrivés bien en tête parmi les partis de gauche (6,31% pour La France insoumise (LFI) et 6,19% pour le Parti socialiste (PS), allié notamment à Place publique de Raphaël Glucksmann), les écologistes d’Europe Écologie–Les Verts (EELV) ont vite adopté les vieux réflexes des partis hégémoniques, comme le PS l’était avant 2017 : tout pour moi (les têtes de listes, la présidentielle) et les miettes pour mes alliés.
Ainsi, malgré les tentatives d’union et les appels divers et variés (2), les Verts, tout heureux qu’ils sont d’être enfin majoritaires au sein de la gauche, ne lâchent rien (3). Ainsi, si une liste d’union a vu le jour aux régionales dans les Hauts-de-France, c’est au prix du ralliement de tous les autres et sans réelle dynamique à ce jour (4).
Car, et c’est sans doute là tout le problème, il ne suffit pas d’avoir fait un peu mieux que les autres à une élection pour devenir la locomotive d’un nouveau mouvement d’opinion, et encore moins d’une élection victorieuse à la présidentielle et aux législatives. La dernière expérience d’union victorieuse de la gauche, à Marseille, s’est faite plutôt contre les partis qu’avec eux et d’ailleurs, le candidat écolo désigné par les militants dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), qui avait laissé entrevoir une union avec le reste de la gauche a été illico remplacé (5) par un candidat fidèle à la ligne « autonome » (ou plutôt : « Nous devant et les autres suivent ») de la direction nationale.
La réalité, c’est que, dans un pays qui reste largement conservateur (6), quelques victoires aux municipales (souvent gagnées grâce à une union large à gauche) ne font pas une dynamique nationale, essentielle pour envisager la victoire d’un candidat de gauche à l’élection présidentielle, qui reste le Saint-Graal du pouvoir politique en France. Alors comment envisager que la montée des écologistes, constatée dans de nombreux pays européens (7) se répercute dans le système de l’élection majoritaire à deux tours que connaît notre pays ?
La vraie question serait sans doute, après les (quelques) victoires des écologistes aux municipales de mars et septembre 2020 dans des grandes et moyennes villes, où est-ce que les écologistes sont capables de gagner des suffrages ? Et là, un constat se fait clair (8) : largement dans les métropoles, connectées, urbanisées et dans lesquelles les populations sont davantage éduquées et vivent la question de la gestion des déchets, de la qualité de l’alimentation ou de diverses pollutions urbaines le plus directement.
D’ailleurs, les candidats actuels à la primaire écolo sont tous issus des métropoles : Yannick Jadot, le plus connu, ancien porte-parole de Greenpeace, élu dans la circonscription Ouest comme député européen entre 2009 et 2019 mais probablement plus souvent à Paris, Strasbourg et Bruxelles ; Sandrine Rousseau, vice-présidente du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais entre 2010 et 2015 ; Éric Piolle, enfin, le maire de Grenoble, élu en 2014 face aux socialistes, faisant de sa ville la plus grande détenue par un écologiste, après la perte de Montreuil, et réélu en 2020 (9).
Cette capacité de dépassement, qui pourrait permettre d’imaginer un écolo à l’Elysée et une majorité de gauche à l’Assemblée nationale n’a connu qu’un seul exemple : les élections européennes de 2009 où, sous l’égide de Daniel Cohn-Bendit, Les Verts avaient réuni une large alliance de la société civile (10) et avaient réalisé le meilleur score (16,28%, contre 16,48% pour le PS alors principal parti d’opposition) jamais atteint par les écolos. Cet exemple n’a jamais été reconduit et les écologistes ont un manque certain de crédibilité lorsqu’il s’agit de se présenter aux élections, dans un pays qui se vit encore majoritairement comme agricole (11) et dans lequel les écologistes sont vus comme des opposants à l’agriculture... dans un mouvement paradoxal comme en sont friands les Français : parmi les élus écologistes, nombreux sont les agriculteurs, notamment bio, alors même que la bio est de plus en plus prisée par les consommateurs. Pour 2022, il est difficile d’imaginer quelle pourrait être la solution pour qu’un écologiste accède à l’Élysée, pour démontrer aux Français que l’écologie au pouvoir serait un modèle certes différent mais avec des effets positifs et sans trop de disruption dans leur vie.
Yannick Jadot aurait pris les devant pour apporter une réponse à cette grande interrogation qu’est le chemin pour accéder au pouvoir : il a proposé une première réunion de toute la gauche le 17 avril dernier. Cette réunion s’est tenue, emmenant autour de la table tout ce que la gauche compte de ban et d’arrière-ban, de groupuscules et micro-partis, avec l’absence remarquée de Jean-Luc Mélenchon qui était représenté mais a déjà exclu une union avant le premier tour. Dans un mouvement paradoxal comme ils savent très bien le faire, les écologistes ont déjà exclu eux aussi de renoncer à leur primaire. On ne voit donc pas très bien ce sur quoi toutes ces retrouvailles pourraient déboucher.
D’autant que pour les élections régionales et les départementales, dernières étapes avant la présidentielle de l’année prochaine, les écolos partiront seuls dans la plupart des régions, y compris dans celles où le RN pourrait l’emporter ou que la gauche détient déjà. Une autre question qui peut se poser et qui ouvre une autre opportunité pour les écologistes de rejoindre un jour les portes du pouvoir est la stratégie adoptée par les écolos allemands : s’allier avec des partenaires de gauche comme de droite, en passant des accords programmatiques. Cette option, qui se produit maintenant régulièrement à l’échelle des Länder est néanmoins facilitée par un système de représentation proportionnel qui laisse davantage de place à la négociation de coalitions post-élections, là où le système électoral français conduit souvent à l’union pré-électorale.
Avec les questions identitaires au plus haut dans le débat public et moins de trois ans après le mouvement des Gilets Jaunes, dont la plupart des foyers étaient situés dans les zones rurales et périurbaines et sur des revendications basées sur le coût supporté par les citoyens des mesures écologistes (12), il est plus que jamais essentiel que les écologistes démontrent que leur modèle de société associe écologie et justice sociale, est applicable ici et maintenant, pour tous et sur tous les territoires, s’ils veulent avoir une chance de convaincre les citoyennes et citoyens de notre pays de les porter au pouvoir.
Et si, après une année et demi de pandémie mondiale, d’un côté, le « retour à la normale » tant promis par de nombreux responsables politiques et, de l’autre côté, le « greenwashing » publicitaire des entreprises feraient ressurgir le « ça commence à bien faire » (13). EELV se retrouverait marginalisé : sans l’écologie, il ne resterait alors pas grand chose de ces écologistes-là.
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1. Kantar public, « Baromètre d’image du Rassemblement National », mai 2021.
2. L’appel de la Primaire populaire « Pour le climat, pour la justice sociale, pour la victoire en 2022 » et le projet « Engageons-nous ».
3. Maël Thierry et Rémy Dodet, « Julien Bayou : « Le plan A, c’est un candidat écologiste à la présidentielle. Il n’y a pas de plan B » », L’Obs, 9 mai 2021
4. Selon un sondage Ipsos du 5 mai 2021, la liste d’union de la gauche recueillerait 20% des suffrages contre 35% à Xavier Bertrand et 32% au RN.
5. Reporterre a rendu compte du feuilleton des écologistes pour les régionales 2021 en PACA.
6. Opinionway pour le Cevipof, « Baromètre de la confiance politique », 12ème vague, février 2021.
7. En Autriche, un président écologiste a été élu fin 2016 pour la première fois (Jean-Baptiste François, La Croix, 26 janvier 2017) ; en Allemagne, les écologistes sont donnés possibles vainqueurs des élections pour remplacer Angela Merkel (Jens Thurau, Deutsche Welle-Courrier international, 3 mai 2021).
8. Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach., « Les ressorts du vote EELV aux élections européennes », Fondation Jean Jaurès, 20 septembre 2019.
9. Il faut noter la candidature à la présidentielle de José Bové, agriculteur et grand militant altermondialiste (qui avait certes fait 1,32%, mais dans un contexte post-21 avril 2002) et qui était le seul profil réellement en décalage avec l’idéal-type du militant de centre-ville que les écolos rassemblent majoritairement.
10. Avec José Bové, Eva Joly, Yannick Jadot, Pascal Canfin, des anciens de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne (ATTAC) et des mouvements altermondialistes, etc.
11. BVA, « Baromètre sur l’image de l’agriculture auprès des Français », avril 2021.
12. Alain Lipietz, « Écologie politique des gilets jaunes », Politis, 19 décembre 2018.
13. Nicolas Sarkozy avait prononcé cette phrase à propos de l’environnement, au Salon de l’agriculture, le 18 février 2011.