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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

En 2022, que restera-t-il du « nouveau monde » ?

Julien Vercel

Alors que les candidats à la prochaine élection présidentielle ne sont pas encore tous connus, ni déclarés, il est au moins temps de faire le bilan des cinq années écroulées, notamment sur la promesse de l’avènement d’un « nouveau monde » politique.

Pour essayer de dresser ce bilan, il faut d’abord avoir une référence quant à ce qu’était l’« ancien monde ». Le portrait de Jacques Chirac et les aphorismes sans retenue qui lui sont attribués dans le roman de Théodore Musard et Achille Wolfoni - Chirac s’emmerde. Antimémoires ou la vie quotidienne de Jacques Chirac sous le règne de Nicolas Sarkozy, Pascal Galodé éditeurs, 2009 (1) - peuvent servir de guide pour tenter de mesurer ce qui a ou n’a pas changé depuis 2017.

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Les auteurs affirment d’abord qu’« il y avait longtemps qu[e Jacques Chirac] savait que gouverner, c’est les nominations et les décorations. Le reste n’est que foutaises ». Si l’on examine le bilan du quinquennat, il existe bien des éléments de continuité entre « ancien » et « nouveau » mondes.

Côté nominations, la continuité avec les pratiques antérieures semblent bien l’emporter sur la rupture. Il y eut la nomination de l’écrivain Philippe Besson que l’on disait proche du couple présidentiel, consul de France à Los Angeles, et qui fit grincer les dents de certains diplomates. Sans oublier, l’ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, pourtant démissionnaire à la veille de la pandémie de Covid 19, recasée à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « envoyée du directeur général » pour les « affaires multilatérales ». Mais ce sont les nominations de préfets qui permirent plusieurs recasages, bien dans la tradition du « spoil system » (2) à la française : par exemple, Jean-Marie Girier, acteur de la campagne en 2017, devint le plus jeune préfet de France sur le Territoire de Belfort et Xavier Brunetière, ex-conseiller Outre-mer à Matignon, fut nommé préfet du Gers. La promotion Sédar-Senghor d’Emmanuel Macron à l’École nationale d’administration (ENA) fait figure de « boys club » (3) exemplaire :  Aurélien Lechevallier, ancien conseiller diplomatique de l’Élysée, nommé ambassadeur en Afrique du Sud ; Stanislas Cazelles, ex-conseiller Outre-mer à l’Élysée, nommé préfet de la Martinique ; Aymeric Ducrocq nommé directeur financier d’EDF ; Kévin Riffault nommé directeur général de la Bibliothèque nationale de France et Franck Paris nommé conseiller Afrique à l’Élysée. Seule femme, Marie Fontanel, ex conseillère santé d’Emmanuel Macron, nommée représentante permanente auprès du Conseil de l’Europe. Remarquons qu’il avait été fait des remarques similaires sur le destin de la promotion Voltaire de François Hollande. Mais promis, on arrête ! Car, heureusement, l’ENA va être supprimée, et « là où l’ENA formait quelques dizaines de hauts fonctionnaires, l’Institut du service public formera l’ensemble des élèves administrateurs de l'État et intégrera un tronc commun à 13 écoles de service public, y compris les auditeurs de justice et les élèves ingénieurs recrutés à la sortie de l'Ecole polytechnique » (4).

Côté décorations, si le Conseil des ministres du 2 novembre 2017 a commencé par réduire le nombre de promus et, ainsi, à se rapprocher de la parité entre femmes et hommes, il a aussi précisé que : « seul le mérite doit être salué et celui-ci se mesure à l’aune de l’intérêt général ». C’est sans doute dans cette perspective que Katalin Novak, la Secrétaire d’État à la famille du premier ministre hongrois ultranationaliste Viktor Orban, anti-mariage gay et anti-avortement, est faite chevalière de la Légion d’honneur en février 2019 et que le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, peu regardant sur les droits humains, reçoit la grand-croix de la Légion d’honneur en décembre 2020... comme, par exemple, Bachar Al-Assad décoré par Jacques Chirac en 2001 et Mohammed ben Nayef Al Saoud décoré par François Hollande en 2016. Mais le quinquennat qui s’achève est même allé plus loin : l’article 13 du décret du 21 novembre 2018 dispose : « Aucune action disciplinaire ne peut être poursuivie ou engagée contre une personne décédée ». Ouf ! Franco, dictateur pendant 40 ans, gardera sa Légion d’honneur.

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En fait, pour voir le quinquennat d’Emmanuel Macron s’éloigner de l’« ancien monde », il faut examiner un autre aphorisme prêté à Jacques Chirac romanesque : « La politique, c’est de l’arithmétique et de la géographie, avec un peu de lyrisme pour les gogos ».

Il ne sera pas question d’arithmétique. Les stratèges de l’Élysée, bardés de sondages et d’études électorales, savent manier les vases communicants pour caresser l’électorat de droite dans le sens du poil sécuritaire et régalien tout en comptant sur ce qu’il reste de discipline républicaine dans l’électorat de gauche pour finir par l’emporter.

Mais question géographie, le duo Emmanuel Macron et Édouard Philippe a fait preuve d’une ignorance très parisienne : la taxation des carburants associée à la limitation de vitesse ramenée à 80km/h a ouvert la longue insurrection des « Gilets jaunes » (5). Il fallait bien peu connaître la vie au-delà du périphérique et les revenus qui y sont associés pour ainsi alourdir les charges de celles et ceux qui y travaillent. D’autant plus que ces réformes se faisaient tout en prônant une société valorisant les valeurs de « mobilité » et de « fluidité » !

Quant au « lyrisme pour les gogos », il suffit de relire les interventions du président de la République pour comprendre combien il ne se contente pas d’« un peu », mais en abuse. Il vante une France aussi vague qu’idéalisée dont la force serait faite de « notre histoire, notre jeunesse, notre sens du travail et de l’engagement, notre volonté de justice, notre capacité de créer pour dire et changer le monde, notre bienveillance » (6). Les bonnes intentions, les grandes envolées, le jeu d’acteur (baisses de ton, silences, gravité de la voix...) et les expressions - on se souvient du « enfourcher le tigre, le seul moyen pour qu’il ne nous dévore pas » adressé au monde de la culture le 6 mai 2020 - finissent par laisser interdits les auditrices et auditeurs... attendant la traduction concrète, le lendemain ou le surlendemain, par le premier ministre.

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1. Les auteurs du roman expliquent pourquoi Jacques Chirac n’est pas devenu sénateur : « il aurait fallu se présenter, faire campagne.  Trop compliqué, trop de francs-macs. On croit se les être mis dans la poche en leur grattant la main et en disant son attachement aux valeurs de la République, ils viennent vous chercher des poux dans la tête parce que vous êtes allé à la messe à Bormes-les-Mimosas le 15 août ».

2. Le « spoil system » ou « système des dépouilles » est une expression américaine et consiste à nommer des fonctionnaires fidèles aux plus hauts postes de l’administration.

3.Martine Delvaux, Le boys club, éditions du Remue-ménage, 2019.

4. Emmanuel Macron, Convention managériale de l'État, 8 avril 2021.

5. Julien Vercel, « Les Gilets jaunes vus par un habit vert », criticamasonica.over-blog.com, 11 septembre 2019.

6. Emmanuel Macron, allocution aux Françaises et aux Français, 17 juin 2020.

 

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