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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

La politique culturelle est-elle en panne ? - La politique culturelle réduite à son impact économique (2ème épisode)

Marc Gauchée

            « On entre dans une période où on doit en quelque sorte enfourcher le tigre, et donc le domestiquer » disait Emmanuel MACRON, président de la République, le 6 mai 2020, lors d’une visioconférence avec des représentants du monde culturel. Un an plus tard, le 23 septembre 2021, JUL, dessinateur, n’a pas réussi à trouver « le tigre » et répond dans L’Obs : « La culture comme l’écologie et tout le reste, n’est soutenue par aucune vision. Il n’y a que des process, des manières de faire les choses, sans aucune ligne directrice. Sa politique est comme un vaisseau conduit par des zombies qui ne savent pas où ils vont ». Cette série d’articles propose d’aller à la recherche de ce qu’il reste de la politique culturelle en temps de Covid 19. Le premier épisode est disponible ici.

2ème épisode/ La politique culturelle réduite à son impact économique

            Quand elle était encore ministre de la Culture et de la Communication, Audrey AZOULAY avait pourtant mis en garde : « l’impact sur l’économie ne doit pas être la justification première de notre politique culturelle, sinon on la traiterait au ministère de l’Industrie » (1). Mais le mouvement était lancé depuis bien plus longtemps et la première étape de la réduction de la politique culturelle a été de faire de l’augmentation du budget de la culture en France une fin en soi.

En fait cette augmentation permettait seulement de laisser croire que le ministre de la Culture, prisonnier dans un face à face avec les différents lobbys professionnels culturels, parvenait toujours à faire plaisir à tout le monde. Mais une telle fixation sur le seul débat budgétaire a eu pour conséquence la disparition de toute discussion sur les objectifs et la finalité de la politique culturelle.

Les socialistes ont une responsabilité dans cette évolution. Lors des élections primaires, le 15 juillet 2011, Martine AUBRY avait promis d'augmenter le budget culturel de 30 à 50%. Aussitôt, Olivier POIVRE D'ARVOR qui rêvait de devenir le prochain ministre de la Culture, avait demandé aux autres candidats de surenchérir. Il est désolant de constater que c’est Frédéric MITTERRAND qui a rappelé que « l'argent ne sert qu'à lubrifier » et que « la focalisation sur l'argent révèle peut-être une panne d'idées » (2)… Tout en n’arrêtant pas de se féliciter le 28 septembre 2011, lors de la présentation de son budget pour 2012, que son budget était « sanctuarisé ».

Ce débat autour du budget de la culture a une histoire, celle du long combat pour le 1% culturel (consacrer 1% du budget général au ministère de la Culture). Car le budget de la culture a connu une progression irrésistible : en 1973, le cap de 1 milliard de francs est franchi et c’est en 1981 que le budget est doublé. Puis force a été de constater que le 1% ne résolvait rien : atteint en 1993, le 1% subit une régulation budgétaire ; l'autre année où le 1% a été atteint est 2002…  Et Jean-Marie LE PEN a été présent au second tour de la présidentielle. L’abandon de l’objectif du 1% pendant le quinquennat de François HOLLANDE n’a jamais été franchement assumé, ni expliqué autrement que par la nécessité de redresser les comptes publics, il ne s’est donc pas traduit par une nouvelle politique culturelle. C’est ainsi que les budgets culturels reflètent cette absence de vision stratégique : -4% en 2013 et -2% en 2014 au titre de la participation de la culture à l’effort de redressement des comptes publics ; +0,31% en 2015, année de la stabilisation ; +2,7% en 2016 et +4,9% en 2017 devant les risques de division de la société. Et le ministère de la Culture finit même par se féliciter que, pour 2017, son budget repasse le seuil symbolique du 1% du budget de l’État pour atteindre 1,1% !

La hausse du budget du ministère de la Culture a certes constitué un horizon mobilisateur avec le fameux « 1% », mais elle n’est plus la seule solution qui répond aux enjeux d’aujourd’hui. En fait, aborder la politique culturelle par le budget est même un mauvais service à lui rendre, car c’est faire croire que les finalités de la politique culturelle ne font plus débat et qu’il ne s’agit plus que de se mettre d’accord sur un niveau de dépenses. C’est également ne s’adresser qu’aux « professionnels de la profession » (3) qui vont désormais s’écharper pour avoir leur part du gâteau. C’est enfin se couper des Françaises et des Français au moment où la rigueur les frappe en leur donnant l’impression de créer un « bouclier culturel » sur le modèle du « bouclier fiscal » sarkozyste.

L’ambiguïté des rapports entre politique budgétaire et politique culturelle, entre argent et art, peut se lire sur le corps de Corinne MASIERO qui, lors de la cérémonie des César, le 12 mars 2021, affichait à l’adresse du premier ministre, Jean CASTEX : « Rend-nous l’art, Jean ».

            La seconde étape de la réduction de la politique culturelle a été de présenter et légitimer la culture comme une activité économique comme une autre, avec ce que ça rapporte et ce que ça crée comme emplois. Il faut se rappeler les conseils donnés par François HOLLANDE, président de la République à sa ministre de la Culture : « Il y a aussi une dimension économique, ils sont très fiers d’être un levier économique. Il ne faut pas penser que ça ne les intéresse pas. Vous êtes un secteur créateur d’emplois » (5).

La focalisation sur l’effort budgétaire pousse les créateurs et les organisateurs à mettre en avant les seules « retombées » comptables et comptabilisables de leurs activités pour légitimer les soutiens publics qu’ils reçoivent. Déjà, en 2011, le directeur de l’opéra de Lyon, Serge DORNY avait commandé une étude marketing au cabinet parisien Nova Consulting sur l’impact économique de son activité qui concluait qu’1 euro de subvention générait 2,80 euros de retombées touristiques ou de sous-traitance locale ! Et il déclarait : « Il faut crever ce tabou qui consiste à ne pas parler des retombées économiques ». Bien sûr, les objectifs véritables sont ailleurs : il s’agit avant tout de légitimer les 38 millions de subventions et de prouver qu’ils profitent à tous, sans éviction budgétaire des autres acteurs culturels (5).

Lors de la campagne des élections primaires à gauche, Arnaud MONTEBOURG insistait sur le rôle de la culture dans les retombées touristiques et sa contribution à l’image internationale de la France. « France créative » qui rassemble les acteurs de toutes les filières culturelles, n’en finit pas rappeler que la culture constitue un « secteur économique à part entière ». Même le ministère de la Culture se livre à des évaluations du « poids économique direct de la culture », c’est-à-dire sans les retombées indirectes comme le tourisme, évalué à 44 milliards d’euros soit 2,3% de l’économie française dont un quart dans le secteur audiovisuel (en 2014). Et tant pis si ce calcul des retombées met en concurrence les acteurs culturels sur des critères extra-culturels ! (6)

La démarche s’inscrit en fait dans une logique toute anglo-libérale consistant à quantifier toute chose, à réduire l’activité humaine à une « série d’indicateurs » qui permettront ensuite de fixer des « objectifs de performance » et de « mesurer les résultats »… tout en engraissant des cabinets et des agences privés pour élaborer puis faire fonctionner ce « modèle ». C’est la victoire des gens des chiffres sur les gens de lettres, de ceux qui essaient de faire croire que tout est prévisible et maitrisable, que le hasard peut être aboli et qu’un corps peut se réduire au chiffre de son poids comme une institution lyrique à ses retombées économiques.

            Les premiers bilans faits sur la crise du Covid-19 restent dans cette approche  que ce soit La Note de conjoncture de Ludovic BOURLÈS et Yann NICOLAS (ministère de la Culture, mars, 2021/2) qui présente l’« Analyse conjoncturelle du chiffre d'affaires de la culture au 4e trimestre 2020 » (7) ou encore l’enquête de la Société française de perception et de répartition des droits d’auteur dans le domaine des arts graphiques et plastiques (ADAGP) de janvier-février 2021, auprès des artistes (8). Ces bilans sont nécessaires et utiles, mais ils sont incomplets. Le ministère de la Culture avait certes fait précéder sa Note de conjoncture par une étude sur les Pratiques culturelles en temps de confinement (9), mais il est caractéristique du manque d’ambition proprement culturelle de voir la gestion de la crise réduite aux seules mesures de sauvegarde économique du secteur (protection du régime des intermittents avec « l’année blanche », chômage partiel, reports de charges, fonds de sauvegarde et de relance...) sans aucune réflexion, ni proposition sur ce qui manquait à la vie culturelle si ce n’est des appels à la patience et la promesse que ça va s’arrêter un jour. Les acteurs culturels ont été ainsi soumis aux « montagnes russes » des annonces, entre calendrier de réouverture, annulation, reports… avec quelques déclarations aussi creuses que conditionnelles de Roselyne BACHELOT, ministre de la Culture: « Si la situation épidémique le permet, à la mi-mai, nous sommes en position de rouvrir les lieux de culture » (10).

Avec la fermeture des lieux de spectacles et de concerts, jamais il ne fut question d’imaginer comment pallier le manque d’expérience vivante et collective, comment continuer à vivre la culture comme façon d’être ensemble, de faire communauté et de confronter les points de vue. Quelles ont été les mesures prises en faveur des artistes qui vivent du seul spectacle vivant ? Alors que l’innovation est pour la « start up nation » le mot magique créateur de richesses, quelles ont été les mesures en faveur des artistes émergents ? Qu’est-ce qui a été fait en faveur des auteurs de bandes dessinées peu et mal rémunérés alors que leurs gros éditeurs prospèrent ? Où sont les propositions pour pallier les défauts inhérent à une captation de spectacle vivant ? En plus, de toute façon, l’approche purement économique se révèle toujours insuffisante en temps « normal » (par exemple : seule la valeur de l’œuvre finale est prise en compte comme support du revenu, pas le temps passé à écrire, composer, dessiner) comme en temps de crise (par exemple : les reports de programmation ne sont pas indemnisés).

Pas étonnant que pour Gabrielle PIQUET, dessinatrice de bandes-dessinées, « la pandémie n’a rien changé à notre situation, les problèmes préexistaient. Nous manquons cruellement d’un statut juridique. Quand je m’adresse à l’Agessa, c’est un dialogue de sourds. À chaque fois je dois expliquer que je ne suis pas une intermittente du spectacle, que mes rentrées d’argent sont irrégulières… » (11).

Et l’initiative du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC), fédérant des élus locaux dans une tribune le 17 février 2021 n’a pas eu de suites. La tribune rappelait que « la culture est essentielle au maintien des liens sociaux et à la lutte contre l’isolement, notamment pour celles et ceux qui sont les plus fragiles et souvent premières victimes de la crise sanitaire » et demandait la réouverture des lieux culturels en promettant de « renforcer encore, si besoin, les protocoles sanitaires en lien avec les différentes collectivités et en fonction de la circulation du virus dans les territoires, et ainsi garantir les meilleures conditions d’accueil des publics et des professionnels ».

À suivre...

____________________

1. « Attention à la tentation populiste », entretien dans Le Monde, 25 juin 2016.

2. Entretien dans Libération, 19 juillet 2011.

3. Expression de Jean-Luc GODARD utilisée en 1987, quand il reçut un César d'honneur.

4. Extrait du documentaire d’Yves JEULAND, « À l’Élysée, un temps de président », sur France 3 le 28 septembre 2015.

5. Cité parl’Agence France Presse, « L’Opéra de Lyon brise le ʺtabouʺ de la rentabilité économique de la culture », 21 décembre 2011.

Le même Serge DORNY sera épinglé par Mediacités en mai 2017 pour ses frais de restaurants et de déplacements.

6. Tristan PICARD, « Le Poids économique direct de la culture en 2014 », ministère de la Culture, Études, 2016-1.

7. Cette note évalue, au terme du 4e trimestre 2020, la perte trimestrielle de chiffre d’affaires des secteurs culturels marchands à 1,6 milliard d’euros au regard du 4e trimestre 2019, soit une baisse de 7%. La projection cinématographique (-81%) et le spectacle vivant (-50%) sont les deux secteurs les plus touchés par la baisse trimestrielle d’activité, tandis que le jeu vidéo affiche une croissance de 60% de son chiffre d’affaires. Pour l’année 2020, les recettes des secteurs culturels marchands chutent de 11 milliards d’euros par rapport à 2019, soit une baisse de 12%. La projection cinématographique (-65 %) et le spectacle vivant (-43%) sont les deux secteurs les plus affectés, alors que le jeu vidéo affiche une progression annuelle de 21% de son chiffre d’affaires.

8. Cette enquête donne une première mesure des effets de la crise : 86% des artistes ont subi une baisse de leurs revenus en 2020. Parmi eux, 46% indiquent que cette perte est supérieure à 50% par rapport à 2019. Concernant les aides mises en place, l’enquête révèle que 52% des artistes n’en ont pas bénéficié. Parmi eux, 57% ont considéré ne pas être éligibles à la lecture des critères et 4% ont effectué des demandes qui ont été refusées.

9. Anne JONCHERY et Philippe LOMBARDO, Les Pratiques culturelles en temps de confinement, ministère de la Culture et de la Communication, 2020-6.

10. BFMTV, 23 avril 2021.

11. Entretien dans Télérama, n°3716, 31 mars 2021.

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A
Bien envoyé<br /> La culture, c'est ce qui reste quand on n'a rien oublié.
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P
Comme il n'y avait pas beaucoup de politique culturelle avant le Covid, il en reste encore moins pendant....<br /> Bravo pour l'article et le choix très pertinent de la photo, tout un symbole....
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M
Vivre sans culture n'est pas vivre<br /> S'approprier la connaissance et en connaître le plaisir se travaille à tous les âges de la vie
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