Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Ce petit (par le format) livre publié chez Grasset et Fasquelle (2021) est la version intégrale de la plaidoirie que fit Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, le 4 décembre 2020. En effet, le 4 décembre, le « prononcé » a été adapté aux circonstances du procès qui se déroula du 2 septembre au 16 décembre.
Toute cette brillante plaidoirie est destinée à intervenir, non dans le procès des accusés responsables de 12 morts et de 4 blessés graves, mais dans celui des idées qu’ils ont voulu enterrer. Car les assassins détestent les libertés françaises, « parce que nous sommes un des rares peuples au monde - c’est comme ça - à être porteur d’un autre universalisme, qui s’oppose au leur ».
L’avocat retrace plusieurs histoires. D’abord celle des caricatures de Mahomet depuis 2005 et rappelle que ce sont des imams danois liés aux Frères musulmans qui ont enflammé le monde musulman en ajoutant aux caricatures publiées trois autres dessins, pour être certains de susciter des réactions qui, jusque-là, avaient été limitées. En France, le 1er février 2006, Jacques Lefranc qui publie les caricatures dans France-Soir, est remercié. Par solidarité, Charlie Hebdo publie les caricatures le 8 février 2006. Là encore, la justice déboute les plaintes de la mosquée de Paris et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) en première instance le 22 mars 2007, en appel le 23 janvier 2008 et rejette le pourvoi en cassation, le 12 novembre 2008.
Puis viennent les histoires du blasphème et de Charlie Hebdo, journal né après la censure d’Hara-Kiri en 1970 sur un consensus, « c’est que la critique des religions ne devait pas faire discussion. Je précise : des religions, pas des hommes à raison de leur religion. C’est toute la différence ».
Quant au blasphème, c’est un délit supprimé en France depuis 1791 et que deux députés de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) tentèrent pourtant de rétablir avec des propositions de loi « visant à interdire les propos et les actes injurieux contre toutes les religions » (Jean-Marc Roubaud, député du Gard, 28 février 2006) et « visant à interdire la banalisation du blasphème religieux par voie de caricature » (Éric Raoult, député de Seine-Saint-Denis, 29 mars 2006). Richard Malka cite alors en réponse les paroles du mufti de la mosquée de Marseille : « un Musulman qui croit que Dieu n’est pas assez grand pour se défendre tout seul est un Musulman qui doute de la toute-puissance divine et n’est pas un bon croyant ».
Avec le rappel de ces propositions de loi, Richard Malka aborde la partie la plus douloureuse de sa plaidoirie, celle qui recense les lâchetés, les peurs, les renoncements ou les calculs politiques qui ont abouti à coller « une cible dans le dos de Charlie ». Les critiques contre la publication des caricatures de Mahomet développent plusieurs arguments : l’humiliation de « populations défavorisées » (Emmanuel Todd) ; le « droit au respect » des croyances (Jean-Marie Le Pen ; Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture ; Marielle de Sarnez ; Robert Ménard ) ; la nécessaire retenue dans le domaine des convictions religieuses (Dominique de Villepin, premier ministre), surtout lorsqu’il s’agit de l’islam (Pascal Clément, ministre de la justice) ou encore « l’islamophobie » (Parti des indigènes de la République, Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples,...).
Après l’incendie contre le journal Charlie Hebdo le 2 novembre 2011, une pétition « Pour la défense de la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo ! » est signée, notamment par Christine Delphy et Rokhaya Diallo. La gauche est au pouvoir en 2012, les couvertures de Charlie continuent à se moquer des religions, mais le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) explique que Charlie participe « à l’imbécilité réactionnaire du choc des civilisations » et Jean-Marc Ayrault désapprouve « tout excès ».
Les dessins de presse passent décidément toujours mal : Jean-Luc Mélenchon, qui avait été caricaturé en couverture de Charlie Hebdo entre Edwy Plenel et Tarik Ramadan avec le titre : « Plutôt Charlie ou Kouachi? », répondait (La Provence, 18 septembre 2020) : « Je suis triste de voir comment ces gens sont en train d’évoluer. Je déplore que ʺMarianneʺ et ʺCharlieʺ soient devenus les bagagistes de ʺValeurs Actuellesʺ. Je les aimais bien. Maintenant ils favorisent une manière de traiter la question du regard raciste qui encourage les débordements. Ils facilitent l’escalade zemourriste ». Auparavant, en 2019, le New York Times avait décidé de ne plus publier de caricatures politiques dans son édition internationale. C’est pas gagné, en effet.