Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Une petite protestation avant un panégyrique. Lorsque l’on parle de la Commune, il n’est que celle de Paris qui semble compter. Celles de Marseille, de Lyon, de Saint-Étienne, du Creusot, de Narbonne, de Toulouse, de Perpignan, de Bordeaux ou de Nîmes passent systématiquement à la trappe, sauf travail d’associations locales. Pour ce qui concerne la Commune de Marseille qui précéda celle de la capitale et vit le franc-maçon, Vénérable de la loge « la Réforme », Gaston Crémieux être fusillé par les versaillais phocéens, nous renverrons nos lecteurs aux travaux de Chantal Champet (Voir Critica masonica, n°19, 2021). Certes, les travaux et représentations à propos des scènes révolutionnaires de province sont rares. Raison de plus pour lancer les fins limiers à leur trace…
Ceci posé, le numéro 95-96 de Rocambole (été-automne 2021) est en tous points remarquable. Dirigé par Daniel Compère, qui signe la présentation, il fourmille de trouvailles que nous ne pouvons toutes citer ici. Nombreux sont les romanciers qui sont l’objet d’articles : Xavier de Montépin et Jules Beaujoint, adversaire et partisan de la Commune (Daniel Compère), Fortuné de Boisgobey, premier romancier anti-communiste et journaliste, qui constitua les dossier du numéro 1 de la revue en 1997 (deux articles de Thierry Chevrier), Hector Malot, (Myriam Kohnen), André Léo (Alice Primi et Caroline Grenier), Maxime Guillaume et Albert Robida (Dominique Lacez), Hector France (Robert Bonaccorsi), André Laurie, Zénaïde Fleuriot et Georges-Alfred Henty (Isabelle Guillaume), Maurice Montégut (Robert Bonaccorsi), Raphaël Meyssan (Marie Palewska). Quelle galerie !
On lira également une étude de Philippe Ethuin : « Anticipations, utopies et uchronie sur la Commune de 1871 », un autre du regretté Yves Olivier-Martin sur « Le roman populaire et la Commune ». Quant à Agnès Sandras, elle nous propose « La pétroleuse poncive, invention des gazetier ou les imaginations hallucinées », autre éclairage sur les journées révolutionnaires que célèbrent parfois certains de nos contemporains, lesquels poussent de cris d’orfraie à la moindre petite violence de rue. Citons également « La Commune racontée à la jeunesse à l’aune du prix Montyon » par Bénédicte Monicat.
On peut souhaiter que de tels travaux soient largement diffusés, dans la mesure où ils rendent compte d’un corpus impressionnant de réception, qui plus est dans le registre populaire qui fut celui de la Commune. C’est à travers ces sources, notamment, que la connaissance et l’imaginaire de la Commune de Paris ont avancé parallèlement et c’est l’absence de sources qui a quasiment éteint le souvenir des autres occurrences.
Mais il est aussi dans ce double numéro une « Malle aux docs » et des Varia à ne pas manquer. Rocambole reprend quelques textes d’un autre disparu récent, Joseph Altairac dont un porte sur les romans de « révolutions oubliées », plus ou moins inspirés de la Commune. Philippe Ethuin travaille sur la circulation dans la médiasphère francophone du roman Au vingt-et-unième siècle de Catulle Mendès. Marc Vervel apporte sa pierre à une vielle question : de quand date le roman policier ? En gros, pour Vervel, c’est vers 1870 qu’il a pris la suite du « roman judiciaire ». Jacques Baudou propose : « Un auteur de romans d‘aventures pour la jeunesse, Howard Pease », Alfu nous parle de L’Express de Mulhouse et Jean-Luc Buard enquête, justement, sur les romans judiciaires d’avant 1870.
Signalons avec plaisir que plusieurs des auteurs et autrices précités participent au numéro double de la revue Critica Masonica (21-22) que nous préparons pour 2023 sur la Culture Populaire.
Le numéro 97 de Rocambole (hiver 2021) est consacré à la presse populaire catholique entre 1840 et 1960, un vieux projet de la rédaction qui arrive à maturité sous la direction de Daniel Compère et qui passe en revue maisons d’édition, supports et écrivains d’une constellation qui existe encore, même si elle a considérablement perdu de sa force.
Bernard Lehembre travaille sur un gros poisson, les éditions Gautier-Languereau qui commencèrent très modestement en 1859 et Francis Marcoin nous parle de l’Ouvrier, un journal hebdomadaire illustré né en 1861 et qui lança l’éditeur. Soizik Juin nous entretient d’un autre hebdomadaire, les Veillées des Chaumières, nées en 1877, l’aïeule de la presse féminine qui connut un succès considérable.
Dominique Petitfaux étudie deux gros éditeurs, la Bonne Presse et Bayard Presse, fondées par des assomptionnistes et passe en revue leurs nombreux titres. En 1934, l’offensive anglo-saxonne en Europe avec, en France, le Journal de Mickey obligea les éditeurs bien pensants à s’adapter aux nouveaux goûts de la jeunesse. On lira avec intérêt cet article pour se rendre compte à quel point il s’est agi avec ces deux éditeurs d’une énorme machine idéologique.
Lucien Larret a choisi, quant à lui, de d’intéresser à un personnage de bande dessinée, Thierry de Royaumont, un héros chevalier du Journal Bayard, qui proposa ses aventures hebdomadaires pour jeunes adolescents entre 1955 et 1959. Il s’agissait d’une sorte de héros scout, mais qui touchait aussi au fantastique et à la science-fiction.
Yves Frémion nous entretient d’un dessinateur, Raymond de la Neyzière (1865-1953), artiste qui travailla avec grand talent pour de nombreux supports. Jacques Baudou revient sur un éditeur et imprimeur, Hirt et Cie sis à Reims et qui publia notamment Foyer-Revue et Foyers-romans. Dernier article d’un dossier très riche comme à l’habitude, celui de Dominique Petitfaux sur les albums de bande dessinée de la Bonne Presse, des origines en 1911 à 1960. Pas moins de 118 titres ont été répertoriés.
En Varia, on notera la nouvelle trouvaille de Jean-Luc Buard qui, à partir d’une vente de collections, a repéré des journaux miniatures, imprimés ludiques à vocation publicitaire. Jérôme Serme poursuit ses révélations, à propos d’illustrés, de polars et autres supports. On notera aussi une petite nécrologie d’Henri Vernes, décédé en 2021 à 102 ans, à qui l’on aura dû notamment, le personnage célébrissime de Bob Morane. Un petit conte pour finir: La cachette mystérieuse de Leo Lambry (1936).
Cette nouvelle livraison confirme le rôle central de Rocambole qui, non seulement, balaye le champ immense de la production écrite populaire, mais aussi tire par le haut le milieu de l’érudition, dans une sorte d’académisme souriant qui en fait tout le charme.
Nous rendrons compte prochainement des prochains numéros de cette revue et, bien évidemment du n° 100, lequel, bon an mal an, marquera un demi-siècle de recherches sur la littérature et la presse populaires, une performance!