Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Il est un vieil adage qui se décline sous plusieurs formes, mais dont nous retiendrons celle qui nous semble le mieux illustrer ce qui suit : « un trotskiste, une tendance ; deux trotskistes, un parti ; trois trotskistes, une internationale, quatre trotskistes, une scission ».
Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), fondé en 2009, ex-Ligue communiste, puis Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui compte quelque 2000 adhérents, vient d’exploser en vol en deux groupes presque égaux, lors de son cinquième congrès. La majorité relative dans laquelle se trouvent entre autres Olivier Besancenot et Philippe Poutou, qui furent candidats aux élections présidentielles, milite pour une inscription du Parti dans les mouvements socio-politiques qui traversent la planète progressiste, notamment La France Insoumise. La minorité du NPA tient, pour ce qui la concerne, à une construction, repartant toujours de presque rien, du Parti révolutionnaire, et elle se trouve de facto chassée de la maison. Le divorce promet d’être mouvementé. La question de la forme de féminisme à prendre en compte dans un contexte pour le moins agité dans ce registre, aura aussi joué. L’affaire de la militante voilée a fait fuir nombre d’adhérentes.
La situation se trouve, quoi qu’il en soit, modifiée par la crise que traverse LFI. Ceci tient certes à l’affaire du député gifleur, dont on parle hélas bien plus que des dizaines de viols qui se passent chaque jour en Ukraine et d'autres faits bien plus graves, notamment les féminicides. Mais le plus important nous semble être la manière dont le processus de désignation des dirigeants vient de se dérouler, avec la mise en première place de Manuel Bompart et l’éviction de plusieurs figures du mouvement de la direction, notamment des parlementaires très actifs. Après le semi retrait du père fondateur, Jean-Luc Mélanchon, ancien trotskiste (lambertiste) comme il se doit, cela nous rappelle un stalinisme de haute époque qui ne peut qu’affaiblir cette structure passablement gazeuse qu’est LFI.
Le plus marquant dans cette scission du NPA, c’est qu’elle correspond à un moment tout à fait comparable, qui s’est déroulé dans la nébuleuse trotskiste quand le Parti ouvrier indépendant, (ex Organisation communiste internationaliste, puis Parti des travailleurs), créé en 2008, a éclaté en 2015.
Dans cette famille dite lambertiste, du nom du fondateur Pierre Lambert, la bataille s’est déroulée il y a quelques années autour de la même question du rapport à la réalité et à l’imaginaire. Les militants de ce qui allait devenir le Parti ouvrier indépendant se virent écartés, pour avoir refusé le lien qui se construisait progressivement avec les mélanchonistes, et privilégier la refondation d’un Parti révolutionnaire pur et sans tache. Nous sommes ici au cœur d’une sorte d’anthropologie politique.
Aujourd’hui, le POI- Parti Ouvrier Indépendant- apporte ses militants et, surtout, sa culture et son expérience politique à un ensemble progressiste, la Nupes, dont nous avons vu qu’il était en crise, ce qui ne veut pas dire qu’il ne pourra rebondir, eu égard, qu’on le veuille ou non, au fait qu’il constitue la seule alternative au néo-libéralisme triomphant, fût-il verdi.
Pendant ce temps, dans l'autre sensibilité trotskyste, celle où s'illustra jadis Alain Krivine, qui vient d'éclater, deux petits partis qui entendent incarner la Révolution prolétarienne à venir vont donc avancer en parallèle vers l’avenir radieux. Deux ? Pas seulement, car, outre la myriade de petits groupes se réclamant peu ou prou du grand Leonid Davidovitch Bronstein, il s'est également reformé avec des anciens du NPA un groupe intitulé Révolution permanente qui, dans son récent congrès, a agrégé quelques personnalités, dont Frédéric Lordon. Quant à Lutte Ouvrière (ex Voie ouvrière), le parti continue d’exister, sans risque de minorité en son sein, car tout se fait là-bas dans une ambiance de secte, et il n’est pas question pour lui de participer à une Nupes quelconque.
En conclusion provisoire, on constatera que se joue régulièrement sur la scène politique de la gauche radicale la question de la pureté, celle dont Hannah Arendt a montré qu’elle était dangereuse et pouvait mener à la dictature, face à une réalité de la pluralité qui, elle, risque l'imperfection, voire la compromission.