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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« La Bague sans doigt », de Jean Zay

Alain Bellet

En une vie si courte, le frère Jean Zay l’aura étonnamment bien remplie ! S’il n’avait été incarcéré quatre longues années par le régime de Vichy à la prison de Riom après un procès scandaleux, puis assassiné par les tueurs de la Milice après une fausse libération le 20 juin 1944, j’oserais dire que cet homme si brillant a zigzagué à cent à l’heure !

Né le 6 août 1904 à Orléans, élu du Loiret en 1932, à 27 ans, il sera le plus jeune député de France !

Après avoir été sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, le Front Populaire lui confie le grand ministère de l'Instruction Publique, de la Jeunesse et des Beaux-Arts. Membre de la gauche du Parti Radical, il milite pour l’Union des Gauches avec ses amis, Pierre Cot et Pierre Mendès-France.

Son grand-père juif avait quitté l’Alsace annexée par l’Empire Allemand et choisi la France. Juif laïc, son père, Léon Zay, dirige le quotidien radical-socialiste local le Progrès du Loiret et sa mère est une institutrice qui élèvera son jeune garçon dans la religion protestante.

Jean Zay devient journaliste, puis débute une carrière d’avocat. Attiré par les valeurs humanistes de la Franc-maçonnerie, il est initié par la loge Étienne Dolet d’Orléans affiliée au Grand Orient de France. Le pasteur protestant de la ville l’unit à Madeleine Dreux en 1932. Tout s’accélère ensuite pour le jeune prodige, dont l’intelligence et l’humanisme constituent une éclairante boussole. En peu de temps, il rajeunit le pays, transforme les rouages de l’éducation nationale, crée le Musée d’Art moderne, lance l’idée du Premier Festival de Cannes, enfin il invente l’ENA !  

D’origine juive, protestant, franc-maçon et dirigeant de gauche, les comparses de Pétain le condamnent à une mort civile programmée. Avec force et vigueur, le détenu lutte avec ses armes, une pertinence vive et sa plume. En plus de Souvenirs et solitude, son ouvrage intime et politique de références, ses nombreuses notes, sa correspondance personnelle et ses études stratégiques s’évaporent par enchantement de sa prison, enfouies dans le landau d’enfant de sa deuxième fillette !

Cet insatiable travailleur éprouve encore le besoin d’écrire et surtout celui d’échapper à l’enfermement. Alors bien sûr, une aventure récréative, policière et touristique s’impose comme une échappée belle que l’on s’offre pour respirer ! Un roman prend forme. Des ingrédients surgissent : un crime, un doigt sectionné, une bague exotique et mystérieuse, des déguisements, des personnages bien campés, la ville de Blois, Paris et puis un bateau de croisière vers la lointaine Égypte, pour le rêve éveillé...

La bague sans doigt se dévoile, laissant entrevoir un agréable mélange d'Histoire, d'aventures un peu datées et des inspecteurs à l’ancienne. Un jeune couple se trouve confronté à une police poussiéreuse, mais aussi à des voleurs sans parole, un méchant receleur antiquaire et ses caches secrètes, une amie âpre au gain, des domestiques glauques, tous évidemment sans un soupçon d’état d’âme...

Jean Zay nous propose un roman énigmatique très agréable à découvrir et à lire, où toutes les pièces qu’il a construites apparaissent s’organiser selon le seul désir du jeune détective voulant convaincre de sa propre innocence. Celui-ci cache des éléments de compréhension et ses motivations personnelles tout en demandant une confiance absolue à la jeune fille qui mène l’enquête à ses côtés.

Publié pour la première fois à Vichy en 1943 par les éditions Sequana sous le pseudonyme de Paul Duparc dans la collection de poche La Chauve-souris ce roman bien écrit retrace en réalité la course éperdue d'un homme voulant coûte que coûte apporter la preuve qu’il n’a pas tué le père de la femme qu'il aime.

Avec une tendre délicatesse, l’intrigue peut apparaitre alors comme une terrifiante allégorie de ce que devait ressentir son auteur, enfermé et condamné jusqu’à sa mort pour avoir trop bien servi la France !

 

La bague sans doigt - éditions Le Mail (juin 2022) - Collection Écrits de politiques -15 €

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