Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les étrangers et d’origine étrangère dans la France libre et dans la Résistance, 1942-1945 (4/4)

Hubert Sage

Panthéonisation de Joséphine Baker, projet d’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, un des symboles de la Résistance... La popularisation des étrangers ou d’origine étrangère qui se sont impliqués dans la Résistance et la France libre est nécessaire auprès de tous les milieux composant  notre nation pour rappeler que leur implication s’est faite non pas par une adhésion à un nationalisme impérialiste ou suprématiste, mais pour l’idéal que porte la République française dans ses valeurs laïques et universalistes d’émancipation.

 

Les motivations de tous ces combattants étrangers et coloniaux

Manifestement, ils entrent  dans les armées de la France libre et dans la Résistance intérieure d’abord par rejet idéologique du nazisme, et moins par réaction à un occupant. Mais cette lutte aux coté de la France libre et résistante fut aussi une manière de se rallier avec d’autres Français, à la cause de la liberté, et donc à ce qu’ils considéraient comme leur patrie d’adoption.

Le résistant italien Spartaco Fontano, Franc-tireur et partisan main-d'œuvre-immigrée (FTP-MOI) du groupe Manouchian, illustre ce réflexe patriotique de beaucoup d’immigrés en France lorsqu’il répond en ces termes au président de la Cour martiale qui lui demandait pourquoi il combattait aux cotés des résistants français : « Pour un ouvrier, la Patrie, c’est le pays dans lequel il a trouvé du travail ».

Pour d’autres, surtout pour les Allemands, les Espagnols, et les réfugiés de l’Europe de l’Est, la libération de la France, considérée comme la patrie des libertés, était certes pour eux la première étape pour la libération de l’Europe et donc de leur pays natal. En ce qui concerne les soldats coloniaux, engagés volontaires dès l’époque où, en 1941 et 1942, la France libre n’avait pas les perspectives certaines de victoire, ils s’engageaient le plus souvent en faveur d’une France mythique, patrie de la liberté et de l’égalité. Ne pas oublier que les troupes coloniales d’Afrique subsahariennes de 1850 à 1905 étaient recrutées exclusivement parmi les populations esclaves des potentats locaux, et que ce type de  recrutement a perduré en majorité longtemps après ; le combat pour la République française, porteuse de ces valeurs de liberté et d’égalité, était donc vif parmi toutes ces populations africaines en 1942 et 1943.

Un détail qui a son importance pour les FTP-MOI : si le mot « Partisan » faisait référence aux partisans de l’Union soviétique qui luttaient à l’arrière des lignes allemandes, le mot « Franc-tireur » faisait référence, lui, à ceux qu’on avait appelé « francs-tireurs » en 1870, qui harcelaient les envahisseurs allemands en arrière des lignes prussiennes et bavaroises, lors de la guerre de 1870 en France, après la défaite de Napoléon III. Les communistes combattants, français et étrangers, se référaient donc eux aussi ensemble à la tradition française de lutte armée derrière les lignes ennemies, et cela a eu une importance psychologique et idéologique certaine, notamment pour l’unification de la Résistance.

Rappelons aussi que tous ces groupes d’étrangers et soldats coloniaux chantaient sans restriction La Marseillaise dans des occasions importantes et solennelles, car La Marseillaise était avant tout pour eux, le chant de la liberté et de la libération. Elle avait été le chant des révolutionnaires russes en 1905 et 1917 avant l’Internationale, et ce sera également le chant révolutionnaire, symbole de la liberté, de toutes les révoltes de l’Amérique latine jusque dans les années 1960. La Marseillaise, a donc été, et il faut le souligner, le chant d’unification des Français et étrangers  de la France libre et de la Résistance entre 1942 et 1945,  avant la création tardive du chant des partisans de la Résistance.

 

Quelle reconnaissance ?

La France et les Français n’ont pas toujours été reconnaissants envers tous ces étrangers et soldats coloniaux. À partir de l’été 1944, tous les Français ou presque se revendiquaient résistants, et ainsi les étrangers et soldats coloniaux étaient pudiquement oubliés. Dans les publications officielles et même celles du Parti communiste par exemple, on ne parlait plus de Missak Manouchian et de son groupe après la libération. Il a fallu attendre 1970 et les années suivantes pour que toutes les publications des uns et des autres rendent à tous les étrangers combattants pour la République française un hommage digne. Mais en plus les Espagnols, qui espéraient le soutien de la France contre le régime franquiste, ne purent continuer à combattre le régime franquiste car de Gaulle désarma en 1945 les « guérilleros espagnols » qui lançaient des attaques militaires dans le Val d’Aran à partir de la frontière française. Les Arméniens ne purent même pas récupérer la région d’Antioche dite « sandjak d’Alexandrette », qui avait été cédée par la France, puissance mandataire de la Syrie à l’époque, à la Turquie en 1939 pour prix de sa possible neutralité, laquelle Turquie avait fait fuir au Liban, par quelques massacres locaux préventifs et prémonitoires, ces derniers arméniens originaires depuis des siècles de la région historique dite de « Cilicie » ou de « Petite Arménie». Les soldats coloniaux d’Algérie ne purent compter espérer ni sur l’indépendance revendiquée par Messali Hadj, d’où les massacres de Sétif le 8 mai 1945,  ni même sur l’assimilation à la citoyenneté française, réclamée en ces termes par Ferhat Abbas dès 1938, lequel  par dépit, désespoir et rage, rallia le Front de libération nationale (FLN) dès sa création et devint ensuite le premier président du gouvernement provisoire algérien en 1958.

Mais il y a eu encore bien pire : les tirailleurs sénégalais qui avaient été fait prisonniers en 1940 et gardé dans des camps de prisonniers par les Allemands dans l’Ouest de la  France avaient été délivrés par les Américains en novembre 1944. Certains, après leur évasion tout au long de ces années d’occupation, avaient même rejoint la Résistance dans les maquis des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Ils ont été rapatriés au Sénégal et ils ont alors réclamés le droit à leur solde ; mais ils se trouvèrent alors confrontés à des officiers, le plus souvent anciens pétainistes ralliés à la dernière minute à la France gaulliste et qui méprisaient les soldats indigènes africains. Ces officiers virent en leur réclamation, certes agitée, une mutinerie et organisèrent leur massacre à la mitrailleuse le 1er décembre 1944 à la caserne de Thiaroye au Sénégal qui fit 100 à 400 victimes selon les estimations.

***

« Vous avez hérité de la nationalité française, nous l’avons méritée », lance Missak Manouchian à l’Hôtel Continental de Paris lors de son procès quelques jours avant son exécution. Le matin de son exécution, le 21février 1944, il écrit cette dernière lettre à sa femme, Mélinée :

Ma chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée

Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te reverrai plus jamais. Que dois-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps. Je m’étais engagé dans l’Armée de libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n‘ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il mérite comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… J’ai un regret profond de ne pas t’avoir rendue heureuse, j’aurai voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse.

Tous mes biens et toutes mes affaires, je les lègue à toi, à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre, tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération. Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie.

Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne, et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes biens chèrs amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus.

Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur.

Adieu, ton ami, ton camarade, ton mari.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article