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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Abolir l’exploitation - Expériences, théories et stratégies », d’Emmanuel Renault

Jean-Pierre Bacot

Certains mots du langage politique connaissent parfois des éclipses. Ainsi, le concept d’exploitation, que déploie dans un nouveau et majuscule ouvrage, Emmanuel Renault, mérite-t-il de reprendre du service. Pour le philosophe, il doit être aujourd’hui décliné en trois pôles qui lui fournissent son sous-titre : « Expériences, théories et stratégies ». L’exploitation de l’homme par l’homme, théorisée jadis par Marx est plus que jamais une expérience commune, mais elle demande à être réinterrogée sans l’actuel contexte du néolibéralisme et de l’intersectionnalité.

Dans une première partie, l’auteur fonctionne de manière dialectique. Il se demande comment croiser les notions d’injustice, de domination et d’exploitation, sur le double registre moral et politique. Il analyse ensuite une série d’objections qui l’amèneront plus avant à modifier le périmètre de la notion, autrefois conçue dans un autre contexte. Cela l’amène à une autre idée, celle de dépossession, avant de conclure provisoirement qu’il peut être parfois utile de conserver un concept flou, même s’il fédère des revendications contradictoires.

La deuxième partie interroge la généalogie de la théorie de l’exploitation, en commençant par ce que proposèrent Gracchus Babeuf et les Saint-simoniens. L’auteur nous montre ensuite comment Marx a mis du temps à s’emparer du concept, avant de l’inscrire dans le cadre des rapports de production, avant même de solidifier sa notion de classes sociales antagonistes. À l’aide de tableaux, Emmanuel Renault aide le lecteur à se retrouver dans le croisement des notions de dépendance, subordination, appropriation du surtravail, etc.

L’auteur, à qui l’on doit d’être l’un de ceux qui ont introduit en France la théorie de la Reconnaissance d’Axel Honneth, consacre ensuite une réflexion à « l’expérience de l’exploitation », où il commence en insistant sur le fait que les marxistes, comme les féministes n’ont pas assez interrogé les racines de l’exploitation, en considérant cette dernière comme une sorte d’évidence vécue. Suit, dans cette logique, un patient travail d’explicitation du concept par l’expérience de la domination, les figures du consentement et la posture de combat qui consiste à refuser la domination au travail.

En un dernier déploiement d’une pensée complexe mais éclairante, c’est la figure de l’injustice qui est détaillée en cinq items : l’exploitation, l’injustice distributive, l’injustice contributive, l’injustice compensatrice et la politisation de l’expérience de l’exploitation.

En conclusion, l’auteur s’inscrit dans la pensée d’aujourd’hui, en prônant une démarche intersectionnelle : « Classe, sexe et race ». On nous permettra de citer, avant deux brèves remarques, la dernière phrase de l’ouvrage : « Laisser à égale distance la hiérarchisation des formes de domination, de l’injustice et de l’exploitation, d’une part, la présupposition de leur homogénéité fondamentale d’autre part. Voilà qui est indispensable s’il s’agit de contribuer vraiment à la convergence des luttes pour un monde meilleur ». On ne saurait mieux dire pour justifier la réintroduction d’une notion d’exploitation qu’il s’agit de déplier. Il y a là une démarche épistémologique nécessaire, mais qui ne sera suffisante que si les exploités se mettent en mouvement.

Pour autant, plus nous avançons dans un temps dont Helmut Rosa nous dit qu’il s’accélère, plus la question de l’efficience de la pensée critique devient cruciale. Certes, on connaît le problème a minima depuis l’École de Francfort dans les années 1920/30. Aujourd’hui, la pensée universitaire se porte bien en France et ailleurs, ce livre d’Emmanuel Renault en témoigne, n’en déplaise à Mesdames Heinrich et Schnapper (fille de Raymond Aron) ou Monsieur Blanquer.

C’est peut-être que des concepts réputés fort peu politiques restent à étudier, ceux d’anesthésie et de résignation des masses exploitées. En attendant, on ne peut que remercier les éditions de la Découverte de relayer des études sur des sujets variés dont nous avons plaisir à rendre compte.

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R
Bravo Emmanuel<br /> FRATERNITE
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