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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Des actrices et du droit de vote des femmes dans les années 1930

Marc Gauchée

C’est toujours au nom d’une « spécificité féminine » que les hommes politiques ont refusé, en France, le droit de vote aux femmes. Spécificité « positive » quand il s’agissait d’épargner aux femmes d’entrer dans les luttes politiques qui compromettraient leur rôle d’épouse et de mère, car « séduire et être mère, c'est pour cela qu'est faite la femme » écrivait Alexandre Bérard, sénateur de l’Ain (1). Spécificité « négative » quand les femmes étaient estimées trop sentimentales, influençables et immatures, bref ne disposeraient pas, à la différence des hommes, de ces capacités propres à  exercer en pleine conscience leur devoir de citoyenne.

La Chambre des députés s’est pourtant prononcée à six reprises en faveur du vote des femmes, par des propositions de loi ou des résolutions en 1919 ; 1925 ; 1927 ; 1932 ; 1935 et 1936. Mais, à chaque fois, le Sénat s’y est opposé ou, tout simplement, n’a pas mis ces textes à son ordre du jour. Des députés avaient, auparavant, pris des initiatives : en 1901, Jean-Fernand Gautret, député de Vendée, rédigeait une proposition de loi accordant le droit de vote aux femmes majeures et célibataires, veuves ou divorcées ; en 1906, Paul Dussaussoy, député du Pas-de-Calais, demandait une loi « tendant à accorder aux femmes le droit de vote dans les élections aux conseils municipaux, aux conseils d'arrondissement et aux conseils généraux » ; Ferdinand Buisson, député de la Seine, proposait, dans un rapport de la Commission du suffrage universel, l'électorat et l'éligibilité des femmes dans les mêmes conditions que les hommes. Enfin, en 1916, même Maurice Barrès, député de la Seine, avait déposé une proposition de loi pour le « suffrage des morts » en vue de permettre aux veuves et mères de soldats tués à la guerre de voter !

Dans les années 1930, les femmes ne relâchent pas la pression sur les assemblées. Le 2 juin 1936, par exemple, l’association « Les femmes nouvelles » fondée deux ans auparavant, offre aux sénateurs des chaussettes avec l'inscription « Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées ». Sa présidente, Louise Weiss, se présente aux élections municipales de Montmartre le 5 mai 1935 et aux élections législatives de 1936 dans le 5e arrondissement de Paris.

C’est dans ce contexte que CinéMagazine aborde la question. Dans son numéro du 28 mars 1935, Nadia Dovy demande ainsi à plusieurs actrices françaises : « Que pensez-vous du vote des femmes ? ».

Du côté des opposantes, Arletty (2) mobilise les arguments de la « spécificité » féminine mêlés à ceux de la mise en danger de la patrie : « les femmes ne sont pas à leur place dans la politique, elles n’ont rien à y voir », d’autant plus que les Américaines et les Allemandes ont « une âme plus masculine » et sont donc moins pacifiques, alors que les Françaises sont « trop sensibles et trop tendres », bref, « chez nous, la femme est trop femme ». Madeleine Ozeray (3) est encore plus directe : « les femmes sont faites pour faire le ménage et avoir des gosses. Elles peuvent avoir de l’intelligence pour le choix d’une robe, mais non pour la politique, que, personnellement, j’ai en horreur et qui n’a été inventée que pour les gens qui veulent arriver au pouvoir. Les hommes naissent pour gagner de l’argent et le dépenser pour les femmes ». Elle ajoute : « les femmes n’ont pas les mêmes devoirs que les hommes et n’ont pas besoin des mêmes droits », sinon qu’elles aillent aussi faire la guerre.

Parmi les actrices favorables, plusieurs souhaitent y apporter des restrictions pour le rendre compatible avec la « spécificité » féminine. Ainsi Josette Day (4) estime que toutes les femmes ne sont pas « au niveau » pour exercer le droit de vote et n’admet donc le vote des femmes que « s’il était possible que seule une certaine catégorie de femmes qualifiées votent ». Mady Berry (5) lie le droit de vote des femmes à leur perte de féminité « sans que le féminisme ait à s’en mêler, depuis qu’elles se coupent les cheveux, portent des robes courtes et fument la cigarette, depuis la guerre, en somme, et sous l’influence des modes venues d’Amérique, qui les ont, pour ainsi dire, déféminisées. Puisque c’est déjà fait, autant qu’elles votent ; qui sait ? Peut-être le vote leur rendra-t-il leur féminité ».

Seule Jeanne Boitel (6) se revendique féministe et se prononce sans réserve en faveur du droit de vote aux femmes, « c’est une question de bon sens, de raison et d’équité ». Elle intègrera ensuite, pendant la guerre, ces actrices engagées dans la Résistance.

En attendant, Nadia Dovy, l’autrice de l’article, conclut en expliquant la « bonne » méthode pour laisser tomber toute revendication politique : « que les hommes accordent donc aux femmes des droits sur leurs enfants, sur leur fortune, une indépendance et une protection dont elles bénéficient dans les autres pays et il est à prévoir que nos plus ardentes suffragettes mettront bas les armes ». Il est possible de voir dans ce compromis, un préalable ou une priorisation des objectifs, il est aussi possible d’y voir une nouvelle manœuvre de retardement. En 1791, Olympe de Gouges publiait la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dont l’article 10 disposait que « la femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune », les Françaises arrachent le droit de vote en 1944… après 153 ans donc.

___________________

1. Rapport n°561 sur plusieurs propositions de loi tendant à accorder aux femmes l'électorat et l'éligibilité, annexé au procès-verbal de la séance du Sénat du 3 octobre 1919.

2. Arletty est à l’affiche en 1935 dans La Garçonne de Jean de Limur ; Amants et Voleurs de Raymond Bernard ; La Fille de madame Angot de Jean Bernard-Derosne et Aventure à Paris de Marc Allégret.

3. Madeleine Ozeray est à l’affiche en 1935 dans Crime et Châtiment de Pierre Chenal ; Le Secret des Woronzeff d'André Beucler et Arthur Robison ; Les Mystères de Paris de Félix Gandéra et Sous la griffe de Christian-Jaque.

4. Josette Day est à l’affiche en 1935 dans Bibi-la-Purée de Léo Joannon ; Une fille à papa de René Guissart ; Jeunesse d'abord de Jean Stelli et Claude Heymann ; Lucrèce Borgia d'Abel Gance ; Son Excellence Antonin de Carlo Felice Tavano et  La Sonnette d'alarme de Christian-Jaque.

5. Mady Berry est à l’affiche en 1935 dans Quadrille d'amour de Richard Eichberg et Germain Fried ; Coup de vent de Jean Dréville  et Jeunes filles à marier de Jean Vallée.

6. Jeanne Boitel est à l’affiche en 1935 dans Les dieux s'amusent de Reinhold Schünzel et Albert Valentin.

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