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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Chroniques d’une intranquillité, 1965-2005 », de Jean-François Marguerin

Marc Gauchée

L’« intranquillité » dont il est question dans ces « chroniques » (éditions ArtsPo, 2024) surgit tout au long du parcours militant et professionnel qu’entreprend de se souvenir Jean-François Marguerin. Et d’abord dans l’événement « déclencheur », le décès d’un père qui n’a jamais cherché à le connaître, à le comprendre et à qui il adresse ses chroniques : « J’ai tant fait pour surtout ne pas te ressembler, ne pas te reconnaître en moi, et pour aussi t’épater, pour que tu puisses être fier de moi, toujours et encore, dans une insupportable ambivalence sans assurance de jamais y être parvenu. Je ne saurais dire pourquoi, mais le sait-on jamais, ta disparition a comme libéré une certitude qu’il me faut écrire maintenant ».

Intranquillité dès les années militantes à la Gauche prolétarienne en Normandie, quand, après l’école normale d’instituteurs de Saint-Lô, il se fait embaucher comme ouvrier spécialisé (OS) dans une entreprise de chaudronnerie… Jusqu’à ce qu’il prenne conscience de l’absurdité de la situation quand des ouvrières apprennent stupéfaites que Lise, l’une de leur « collègue », avait commencé des études en médecine avant de s’engager à l’usine. Pour les ouvrières, Lise serait plus utile comme médecin alliée à leur cause qu’à l’usine ! Lise acquiesce et est exclue peu après de la Gauche prolétarienne pour « dérive petite bourgeoise ».

Devenu professeur de lettres à Lisieux et sensible au mouvement dans les prisons notamment contre la création des quartiers de haute sécurité (QHS), il lui est proposé d’enseigner pour un groupe de détenus à la prison de Lisieux. Mais cette expérience qu’il perçoit comme une « soupape à la cocotte-minute » s’arrête après 10 mois, quand l’enquête des Renseignement généraux informe l’administration pénitentiaire de son passé militant. En revanche, il en conçoit une méfiance envers tout prétention au savoir qui sert à légitimer le pouvoir : « Cette pénétration de l’univers carcéral, cette confrontation à des histoires extraordinaires, à des réalités politiques essentielles et à des détresses humaines extrêmes, ont précipité ma rupture avec toute attitude péremptoire ».

Abandonnant sa carrière d’enseignant, Jean-François Marguerin, déjà investi dans le théâtre, poursuit son chemin dans l’action culturelle et occupe plusieurs postes au ministère de la Culture, source de nouvelles étapes dans son « intranquillité ». C’est en 1989 qu’il est envoyé en Nouvelle-Calédonie comme chargé de mission pour l’ouverture d’une agence de développement de la culture kanak (ADCK) prévue par les accords de Matignon. Même s’il participe à la création de l’école de cirque de Nouméa, très vite, il voit les limites de ce « cadeau empoisonné » : « L’agence avait-elle pour mission de se faire frotter la culture kanak "aux échos du monde", de lui permettre de "s’ouvrir", ou bien celle d’en être le conservatoire par la présentation et l’étude de ses patrimoines matériels et immatériels, par tous moyens (notamment audiovisuels), et d’en assurer la promotion d’abord auprès des Kanaks eux-mêmes, puis dans le monde entier, sous forme d’expositions, de publications, de représentations polyphoniques ou chorégraphiques ? ».

Quand en 1999, il devient conseiller « spectacle vivant » au sein du cabinet de Catherine Trautmann, ministre de la Culture, il est l’un des auteurs de la « Charte des missions de service public » que la ministre souhaite voir adopter par les établissements culturels. Or les directeurs de ces établissements mènent un lobbying efficace contre la ministre et cette « Charte » qui pourtant participerait à légitimer l’argent public qui les finance !

Enfin, dernière étape (provisoire) de cette « intranquillité », Jean-François Marguerin devient en 2001, directeur de l’Institut français de Casablanca, au Maroc. Mais là encore, « je m’étais trompé en croyant conciliable action culturelle, avec ce qu’elle suppose de détermination à donner à ses contemporains quelques moyens de leur émancipation et posture diplomatique ». « Émancipation », le mot est lâché, l’auteur reboucle ainsi avec un autre de ses ouvrages co-écrit avec Bernard Latarjet (Pour une politique culturelle renouvelée, Actes Sud, 2021) où il précisait que la visée de la politique culturelle « a toujours été l’émancipation des individus du déterminisme de leur naissance par la connaissance et l’émotion, la fabrique de citoyens autonomes dans l’exercice de leur jugement critique ». En 2005, si Jean-François Marguerin quitte le Maroc, son « intranquillité » ne le quitte pas.

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