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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Joyce Carl Oates, une pessimiste de génie

Joyce Carol Oates, à la Library of Congress (États-Unis, 2019)

Jean-Pierre Bacot

Joyce Carol Oates (1938), écrivaine étasunienne très célèbre dans son pays, a produit une œuvre quantitativement et qualitativement immense. Elle est née à Lockport, dans l’État de New-York. Écrivant depuis l’âge de quatorze ans, elle a publié de très nombreux romans, nouvelles, poèmes, essais et pièces de théâtre, soit plus de cent volumes. À 86 ans, elle continue à publier au moins un livre par an. Une telle productivité ne se repère que chez quelques grands noms de la littérature populaire. On pense en particulier, en France, à Georges. J. Arnaud (1928-2020), auteur de plus de 200 romans, essentiellement policiers et d’espionnage. Mais Oates ne relève pas de cette catégorie. Ses personnages, ses scénarios varient, ainsi que les styles (romans que l’on pourrait dire néo-gothiques, policiers, parfois écrits sous pseudonyme, romans psychologiques). Ses romans, dits gothiques, ont été écrits à la suite les uns des autres : Bellefleur (1980), A bloodsmoor romance (1981), The crosswick horror (1981) et Mysteries of Winterthurn (1982). Sont venus plus tard, dans la même veine, My heat laid bare (1998) et The accursed (2013). Il s’agit d’une sorte de pastiche des romans gothiques anglais (de la fin du XVIIIème siècle au romantisme : Horace Walpole, Ann Radcliffe, Matthew Gregory Lewis et Charles Robert Maturin, vieux châteaux hantés, personnages marqués par la folie).

Le reste de sa production littéraire relève essentiellement d’une description d’un milieu de moyenne bourgeoisie du Nord-Est des États-Unis, à dominante universitaire (mais il ne s’agit pas pour autant de « romans universitaires » à la David Lodge) où les hommes sont presque tous défaillants et les femmes pour la plupart épuisées. En fait, la romancière désespère du genre humain, à de rares amitiés près. La cruauté qu’elle exprime souvent répond presque toujours à des causes sociales ou à des drames individuels. Cela ne fait pas pour autant d’Oates une sociologue, ni même une psychologue. En 1962, elle s’est installée avec son mari à Detroit dans le Michigan, une ville où la violence et les tensions raciales ont toujours été fortes. À ce propos, Joyce Carol Oates a écrit : « Détroit, mon grand sujet, a fait de moi la personne que je suis, et en conséquence l'écrivain que je suis, pour le meilleur et pour le pire ».

L’abondance de son écriture témoigne d’une imagination débordante. On comprend dans la première partie de son journal (années 1973-1982, une petite partie des 4 000 pages existantes) qu’Oates cherche à refroidir ce qui relève en elle d’un génie qui l’a vu friser plusieurs fois le Nobel depuis plus d’un demi-siècle. Elle insiste en effet sur le caractère tranquille de son existence matrimoniale qui contraste pour le moins avec son univers romanesque. Progressiste, mais sans excès, bien qu’ayant fait preuve de son effarement face aux dégâts du Trumpisme, athée déclarée, mais sujette à des éclairs de spiritualisme, féministe non militante, elle revient parfois, dans son journal et ses entrevues avec des écrivains ou des journalistes, sur le caractère d’émancipation sociale de son parcours littéraire. Ses parents étaient pauvres, mais ils ont connu une certaine aisance à la retraite et elle ne ne se montre pas honteuse de l’aisance dont elle bénéficie. Elle s’est aussi rendue célèbre par deux livres écrits à la mort de ses maris, le premier, l’éditeur Raymond Smith,  J’ai réussi à rester en vie (2011), le second, le chercheur en neurosciences Charles Gross, Respire (2021).

Joyce Carol Oates se plaint parfois du fait que la féminité soit encore un handicap dans le processus de connaissance littéraire, tout en savourant sans excès d’enthousiasme les multiples prix et distinctions qu’elle a reçus. Elle a également beaucoup enseigné la littérature dans diverses universités, notamment Windsor et Princeton, avec un plaisir dont elle fait volontiers état. Très étasunienne, elle s’intéresse fort peu à ce qui se passe ailleurs, même au très proche Canada et dans les autres pays de sa chère langue anglaise.

La plupart de ses textes sont aujourd’hui traduits en français et existent pour beaucoup en édition de poche. On peut les caractériser par une sorte de pessimisme flamboyant à dimension fantastique. « The strange real world », écrivit un jour John Gardner à son propos dans le New York Times. Sept longs métrages ont été inspirés par ses œuvres.

Pour ce qui tient à la critique littéraire francophone, dont nous pensons qu’elle est encore lacunaire, nous citerons le numéro que les Cahiers de l’Herne ont consacré à Joyce Carol Oates en 2017. Les Chutes (2006) et Blonde, (2000) à propos de Marilyn Monroe figurent peut-être parmi le titres les mieux vendus en France. On peut souhaiter bon courage à celles ou ceux qui publieront un jour ses œuvres complètes. En attendant, on pourra lire son dernier texte paru, Un livre de martyrs américains, l’un des ses plus forts, un drame personnel inscrit dans le débat qui fait rage aux États-Unis sur l’avortement et la guerre que mènent contre cette pratique les évangélistes.

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