Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Cela se pose comme un roman, mais il s’agit plutôt d’un récit-romancé, écrit avec une telle maestria qu’il en devient d’une efficacité redoutable. Dans Les derniers jours du Parti Socialiste, Aurélien Bellanger, qui est aussi un excellent chroniqueur radiophonique (aujourd’hui sur Radio Nova), nous retrace aux éditions du Seuil la genèse d’un mouvement qui est aujourd’hui presque éteint, beaucoup de ses membres l’ayant quitté, mais qui a profondément divisé la laïcité française. Il s’agit du Printemps républicain (appelé dans le livre le mouvement du 9 décembre), que nombre de ses adversaires appelaient « le gang des saucissons pinard ». C’est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du Parti socialiste que ce groupe s’est constitué en mars 2016, à l’initiative de Laurent Bouvet, intellectuel semi-marginal né en 1968 et décédé en décembre 2021 et Gilles Clavreul, né en 1973, essayiste et homme politique qui échoua à passer un accord avec le mouvement En Marche pour devenir député. Il ne parvint pas non plus à transformer la sensibilité qu’il incarnait en véritable force politique, en la faisant changer d’échelle.
Persuadé que l’islamisme qui avait durement frappé le pays menaçait la tradition laïque du pays et qu’il fallait également lutter contre l’extrême-droite, le mouvement s’est appuyé sur un certain nombre d’intellectuels médiatiques regroupés pour partie dans deux périodiques, Marianne et Causeur (classés respectivement au centre gauche et à la droite dure). En réalité, le glissement vers l’extrême-droite du Printemps républicain s’est effectué lentement, mais sûrement. Le « en même temps » aura, là aussi, montré sa vraie nature.
À travers des pseudonymes, Aurélien Bellanger met en scène Laurent Bouvet, Raphael Enthoven, Michel Onfray (le philosophe du bocage), Caroline Fourest, Philippe Val et bien d’autres personnages, dont lui-même comme écrivain.
Laurent Bouvet a été une éminence grise du PS, dont il fut membre de 1988 à 2007. C’est non seulement un courant qu’il voulait construire, mais une hégémonie, obnubilé qu’il était, comme bien d’autres, par une lecture trop rapide d’Antonio Gramsci et parfois de Charles Maurras. Aujourd’hui, ce parti, qui ne vit certes pas ses derniers jours, n’en est plus à se partager sur cette question « identitaire », d’autant qu’il a été reproché au Printemps républicain, en son sein et ailleurs, de faire le lit de l’extrême-droite. D’autre part, les méthodes de chasse aux sorcières sur les réseaux sociaux de ses trolls en ont échaudé plus d’un, quand ils ne les auront pas détruits psychologiquement et même physiquement. Quoi qu’il en soit, l’ordre du jour et même le Zeitgeist ont changé du tout au tout et en très peu de temps, non seulement avec les guerres d’Ukraine et du Moyen-Orient, mais aussi avec la nouvelle crise du néo-libéralisme et le tragi-comique parlementaire.
Aurélien Bellanger a écrit plus de 500 pages d’une plume alerte, parsemant ses écrits de descriptions savoureuses, dont celle de l’actuel locataire de l’Elysée, baptisé le Chanoine. L’auteur pose Emmanuel Macron comme un parfait cynique qui aurait utilisé le Printemps républicain dont les dirigeants étaient devenus proches de lui, comme arme de division du courant socialiste, avant de l’abandonner en rase campagne.
Les derniers jours du Parti socialiste tranchent avec tout ce qui peut se produire comme fictions à sujet politique. L’auteur se fait plaisir et nous ravit au passage, tout en exaspérant d’autres, mais c’est la loi du genre. L’histoire qu’il a choisi de déployer part des conséquences dramatiques qu’eut la republication par Charlie Hebdo des caricatures de Mahomet en 2020. Reprochant à certains défenseurs de la laïcité, notamment de la gauche radicale (pas forcément toujours à tort, au demeurant), d’avoir minimisé les dangers de l’islamisme meurtrier, deux intellectuels s’emploient à prendre le pouvoir idéologique sur la République des lettres, sous forme d’une sorte de société secrète.
Cela donne l’occasion à Aurélien Bellanger de noter à plusieurs reprises que la franc-maçonnerie ne sert à son avis plus à grand-chose (son grand-père était un frère). Bien renseigné, l’auteur sait probablement que nombre de francs-maçons ont marché aux côtés du Printemps républicain. Comme l’écrit Aurélien Bellanger à la fin de son prologue : « Si l’histoire contemporaine est un récit chiffré, le Mouvement du 9 décembre pourrait en être la clé ». Satire du discours complotiste, ou plutôt demi-satire, c’est ce qui fait la force de ce texte, son écriture au premier degré et demi. De quoi rendre fous furieux ceux qui sont au centre de ce vrai-faux récit.
Aujourd’hui, le Printemps républicain est démonétisé, il utilise des manoeuvres dilatoires pour lutter contre des procès qui lui sont intentés. Son principal inspirateur est mort et les politiques qui suivaient le mouvement comme Manuel Valls ne sont plus en odeur de sainteté. La page est tournée et il est temps de se demander ce qui a pu se passer dans la tête de centaines de personne persuadées d’une sorte de Grand remplacement idéologique.
Ce livre restera sans doute comme un des meilleurs témoignages qui ait été écrits sur les dessous de la politique française au début du XXIème siècle en France, dans la mesure où il joue sur une thématique peu usitée et qu’il montre qu’à vouloir transcender les catégories sociales, politiques et philosophiques au nom de cette « France éternelle » qui resurgit à chaque moment de crise, on en vient facilement à pactiser avec le diable et à cultiver la paranoïa.
Aurélien Bellanger a déjà écrit de nombreux romans, essais et pièces de théâtre. Son dernier texte n’aura certes pas fait que des heureux. Alain Finkielkraut, l’un des fondateurs de Causeur en 2007, juge que la manière dont Laurent Bouvet est traité dans le livre, malgré le style de satire choisi par l’auteur, est «abjecte». On n’en attendait pas moins de celui qui, continuant à sévir le samedi matin sur France Culture, aura commencé son existence intellectuelle comme maoïste, pour la finir comme figure de l’extrême-droite antimoderne.
En conclusion, on se réjouira que des écrivains puissent nous proposer une lecture originale d’un phénomène qui, pour récent qu’il soit, relève déjà de l’histoire, preuve, s’il en fallait, que celle-ci avance vite, trop vite. L’automne républicaine est lourde de menaces, car, comme l’écrivit Brecht dans La résistible ascension d’Arturo Ui : « Der Schoß ist fruchtbar noch, aus dem das kroch », ce qui se traduit par : « Le ventre est encore fécond d'où c'est sorti en rampant ». Ce n’est pas le serpent de l’islamisme qui rampe, toujours haïssable, mais affaibli, mais l’Ogre Russe et ses alliés, les évangélistes Trumpistes du Sud des États-Unis, ainsi que d’autres criminels venus, qui l’eût cru, d’Israël, de Perse et du diable fauteur de dettes, quoi qu’il en coûte pour cette douce France, cher pays de mon enfance. Cause toujours, Causeur, et ne te voile pas la face en une dernière grimace, ce serait charrier.