Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
«La constitution de 1795, tout comme ses aînées, est faite pour l’homme. Or, il n’y a point d’homme dans le monde. J'ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu'on peut être persan ; mais, quant à l'homme, je déclare ne l'avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu.»
Joseph de Maistre
« Homme sensible ! Tu révères tes parents ; honore de même les pères de l’Etat, et prie pour leur conservation. Ils sont les représentants de la Divinité sur cette terre. S’ils s’égarent, ils en répondront au Juge des Rois ; mais ton propre sentiment peut te tromper, et ne jamais te dispenser d’obéir. »
Règle de Wilhelmsbad
« Toutes les fois qu’un groupe s’organisera sérieusement, il devra s’appuyer sur des idées absolument révolutionnaires, afin de pouvoir repousser et exclure dans tous les cas toute ingérence de l’Etat : ce groupe devra donc s’orienter dans une direction anarchiste et antinationale ; au lieu de fortifier la patrie par le réveil des groupes locaux, il a la diminuera par des tentatives de scission, d’ailleurs puériles, sottes et sans aucun profit pour ces groupes eux-mêmes. Ce mouvement organisateur aboutira donc, en fait, à des destructions. Nous l’avons vu, nous le verrons de plus en plus. J’en ai conclu qu’il faut commencer par en haut.»
Charles Maurras,
Action française mensuelle, 1904.
L’ouvrage de Stéphane François, publié aux Editions de La Hutte et préfacé par Jean Solis, présente cette intéressante particularité d’avoir été écrit par ce que nous appelons un profane débarrassé de fantasmes préétablis sur l’Ordre Maçonnique. Aucun doute que le texte, écrit par un franc-maçon, eut été notablement différent. En effet, comme on le sait, pour chaque franc-maçon, il n’existe qu’une seule vraie maçonnerie : celle qu’il pratique. Cette affirmation première étant posée, on se rend compte que cette exclusive est à la source des préjugés et autojustifications qui conduisent ceux qui étudient la maçonnologie à parler de LA franc-maçonnerie alors qu’il serait très certainement plus judicieux de parler DES franc-maçonneries. Elle est aussi la source d’une autre certitude : la franc-maçonnerie n’a pas de visage, mais l’apparence multiple de ce qu’elle est réellement, c’est à dire une société de sociabilité au sein de laquelle se retrouve tout ou partie de la bourgeoisie et de l’élite intellectuelle d’une époque. C’est la raison pour laquelle elle ne peut être que le portrait de la pensée et des courants politiques de son temps. En outre, cette « unicité » de considération et d’identification d’appartenance amènent inévitablement à tomber dans le singularisme de l’étude et à regarder comme Vérité ce qui n’en est manifestement pas une.
La droite de l’Acacia, déconstruit la franc-maçonnerie en trois niveaux ; tout d’abord le visible que l’on appelle souvent politique, ensuite la nature affirmée des anglo-saxons à être « un système particulier de morale voilé d’allégories exprimées par des symboles », c'est-à-dire, un club de sociabilité où l’on aborde aucun sujet qui fâche. Enfin, se pose la question de la société qui se revendique haut et fort comme initiatique depuis le XIXe siècle. Là se pose une question fondamentale, à savoir, la place réelle de l’ésotérisme en son sein et surtout le fait que les courants des Wirth, Evola, Guaita, le martinisme de Papus ou la Théosophie de Blavatsky, puissent être perçus comme moteurs de l’évolution des rituels. Sur ce point, Stéphane François est assez clair : « les délires ésotérisants ainsi que l’ambition déçue, pour l’impétrant, d’y trouver une sapience ou une connaissance des grands mystères de la connaissance ont alimentés l’antimaçonnisme ». Et de citer ici le cas de Jean Marquès-Rivière, scénariste co-auteur du film « Forces Occultes », qui passera de la franc-maçonnerie à un antimaçonnisme féroce qui l’amènera à la collaboration avec l’occupant nazi.
L’auteur, manifestement au cœur de son sujet, reviendra sur trois erreurs qui découlent de légendes concernant l’histoire de la Franc-maçonnerie, communément commises, et dont les effets perdurent. La première légende, la plus ancienne, est celle de l’implication de la Franc-maçonnerie dans la révolution française affirmée et démontrée principalement par l’Abbé Augustin de Barruel lequel, dans ses Mémoires pour servir à l'histoire du Jacobinisme (publié à Londres en 1798[2]), soutient que les Illuminés de Bavière, société élitiste et complotiste, fondée en 1776 par Adam Weishaupt, ont infiltré la franc-maçonnerie afin de la détourner de sa voie naturelle et renverser les pouvoirs en place, aussi bien politiques que religieux, pour asservir l'humanité. Cette thèse, qui soutient que la Révolution française résulte d'un complot fomenté contre l'Église et la royauté par les philosophes athées, les francs-maçons et les illuminés, a connu une postérité considérable dans les milieux dévots et contre-révolutionnaires. A la même époque, une thèse similaire avait été proposée par l'Écossais John Robison[3], qui suggérait que la Révolution française et ses conséquences sur l’équilibre européen, étaient le résultat d’une action secrète de la franc-maçonnerie. Cette théorie totalement imaginaire, principalement paranoïaque et antisémite conserve, encore aujourd’hui, quelques adeptes, principalement dans les milieux maçonniques catholiques ultraconservateurs et au sein de l’anti-maçonnerie. Cette thèse est, encore aujourd’hui, restée très vivace et porteuses de ramifications comme l’exploitation de l’idée que la seconde guerre mondiale a été orchestrée par la Franc-maçonnerie.
Chronologiquement, l’autre légende sur laquelle il faut s’attarder, est celle de la transition. Cette théorie repose sur le mythe des origines opératives de l’Ordre, concrétisé par la "filiation" Stretton, hypothèse largement reprise par René Guénon parmi ses multiples fantasmes de philosophie pérenne et totalement fausse. Cette affirmation de filiation est aussi support de la théorie développée par Harry Carr et une partie de la Loge Ars Quatuor Corronati à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Ce point de vue affirme l’origine compagnonnique de la franc-maçonnerie et développe l’idée d’une filiation continue depuis les premiers regroupements de constructeurs. Cette idée a la vie particulièrement dure et se complète de la dernière affirmation, très récente mais aussi très en vogue, à savoir, l’origine chrétienne de la franc-maçonnerie dans laquelle on confond allègrement un environnement culturel incontournable avec les méandres de l’inconscient des peuples ; solution de facilité s’il en est. C’est aussi sur les développements de ces points que repose l’argumentaire de Stéphane François, à savoir, la franc-maçonnerie a-t-elle d’autre identité que celle que lui donnent ses membres ? En fait, ces théories imaginaires, aussi fausses les unes que les autres n’ont d’autre objectif que de réduire le champ de l’étude à une seule forme de maçonnerie sur laquelle tout pourrait s’appuyer. Une Vérité Première, une affirmation identitaire propre à définir une forme de « régularité » exclusive de toute autre. Une idée de la Franc-maçonnerie « pérenne », en quelque sorte, dans laquelle les origines les plus anciennes sont revendiquées comme confirmant la véracité de la religion dominante.
L'article complet dans le numéro 3 de Critica Masonica
[1] Stéphane François, A droite de l’Acacia : de la nature réelle de la Franc-maçonnerie. Préface de Jean Solis – Editions de la Hutte 2012.
[3] Physicien et inventeur écossais, professeur de philosophie naturelle, secrétaire de l’Académie Royale d’Edinburgh et grand doctrinaire de la théorie du complot. Il est l’auteur de “Proofs of a Conspiracy against all the Religions and Governments of Europe, carried on in the Secret Meetings of Free-Masons, Illuminati and Reading Societies, etc., collected from good authorities (1797)” dans lequel il développe l’idée d’un complot international à l’origine, entre autre chose, de la Révolution française et dans lequel sont impliqués les forces occultes maçonniques et les « illuminati ». Cette thèse recoupe celle du jésuite Augustin Barruel.
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