Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Forces occultes, sorti en 1943, est le seul film entièrement antimaçonnique connu. Sa construction dramatique est mise au service de la propagande voulue par le régime de Vichy.
Comme tout film de propagande, les auteurs doivent d’abord faire sérieux, montrer que les pièces à charge sont crédibles pour endormir la méfiance des spectateurs. Plusieurs informations sont donc données en ce sens par l’intermédiaire de cartons écrits comme dans les films muets. En ouverture, un carton indique : « C’est à l’intérieur même de la Chambre des députés qu’ont été tournées les scènes du début du film ». Le Palais Bourbon qui abritait alors l’état-major de l’armée de l’air allemande puis toute l’administration du « Gross Paris » a, en effet, été prêté pour le tournage[1]. Un carton final indique que ce film a été réalisé à partir de « documents maçonniques rigoureusement authentiques », opération facilitée par le fait que le réalisateur et le scénariste côtoyaient des maçons. Des éléments de rituel sont donc montrés : le cabinet de réflexion qu’Avenel, entouré de squelettes et de crânes, qualifie de « Pas rigolo leur truc ! » ; les coups à la porte ; le passage sous le bandeau, les trois coups sur l’épaule ; les mots de passe ; les phrases d’ouverture et de clôture de tenue ; la triple batterie ; l’acclamation ; l’entrée en se baissant ; les voyages de la cérémonie de réception…
Mais la crédibilité revendiquée est encore renforcée par un deuxième ressort : l’empathie. En effet, le scénario de Jean Marquès-Rivière raconte les premiers pas d’un novice, Pierre Avenel, dans la franc-maçonnerie. Il recourt à ce procédé dramaturgique qui permet une identification rapide au protagoniste. L’idée est que le spectateur suive le même chemin qu’Avenel : tour à tour séduit par la franc-maçonnerie (Avenel affirme que le programme de la franc-maçonnerie est bon), interrogatif devant ce qu’il y découvre (après sa réception, il confie « C’est curieux, cette cérémonie est très impressionnante », puis avoue à sa femme « C’était pas ridicule, c’était étrange ») enfin violemment hostile (Avenel résume le milieu : « Des cerveaux vides, mais des dents longues et des langues folles »). Beaucoup de scénarios de films ont recours à ce même procédé dit du déniaisage pour embarquer le spectateur du côté du héros, de Platoon sur la guerre du Vietnam d’Oliver Stone (1986) à Ressources humaines sur l’entreprise de Laurent Cantet (1999) ou, plus récemment, Hippocrate sur la médecine de Thomas Lilti (2014).
Enfin, le dernier ressort dramatique utilisé est celui du confident méfiant. Il s’agit ici d’une confidente puisque c’est la femme d’Avenel interprétée par Gisèle Parry. Elle met en garde son mari : « Tu ne vois jamais le mal » ; elle dit ses doutes envers la maçonnerie qu’elle suspecte d’être peuplé d’« arrivistes » (6’59). Le terme « arrivistes » est celui qui revient le plus dans tout le film avec un crescendo : outre la femme d’Avenel, une de ses amies précise que la franc-maçonnerie rassemble des « arrivistes » et des « médiocres » (23’20). Enfin, le Vénérable reconnaît que le milieu est « Pourri d’arrivistes écœurants » (39’22). Pas étonnant que Madame Avenel ait un mauvais pressentiment : « J’ai peur pour toi ».