Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Les francophones du Québec et d’autres provinces canadiennes, tout au moins certains de ceux qui conservent un rapport personnel et parfois douloureux à l’histoire, gardent une dent contre lui. Pourtant, John George Lambton, premier comte de Durham (1792-1840) mérite d’être connu pour ce qu’il fut, un libéral et un franc-maçon. La Couronne britannique envoya cet aristocrate au Canada en 1838 pour enquêter sur les causes et les suites de la révolte dite des « patriotes », laquelle avait mis en branle au Bas Canada nombre de francophones et quelques anglophones contre la domination anglaise. Arrivé avec de bonnes intentions, le Comte qui fut administrateur du Bas Canada à majorité catholique et francophone pendant six mois, y menant grand train, ne parvint pas à concilier les contraires. Whig, Libéral, anglican, il avait prôné en Angleterre l’émancipation des catholiques et une éducation pour tous. Pour le Bas Canada, il considérait que les institutions, contrôlées par l’Église catholique étaient passablement arriérées et, dans le célèbre rapport qu’il remit à Londres en 1839, il proposa d’assimiler les canadiens français au système britannique pour, en quelque sorte, les mettre à niveau culturellement parlant, en fusionnant les deux parties du pays, idée qui révulsa plus d’un canadien français, comme on disait alors. Proche du Premier Ministre Melbourne, il fut ambassadeur en Russie de 1835 à 1837, juste avant d’être envoyé en mission impossible, une aventure dont il revint pour mourir de la tuberculose fin juillet 1840. Chez les spécialistes de cette période agitée qui vit naître en plein romantisme le nationalisme québécois, l’appartenance maçonnique de Lord Durham est un véritable tabou et elle est généralement passée sous silence, pour des raisons essentiellement idéologiques. D’un côté, les historiens francophones sont souvent marqués par un nationalisme qui a du mal à renier son lien originellement consubstantiel avec la catholicité, sensible au temps de la « grande noirceur » dans un cléricalisme obtus qu’avait pointé Durham, sous d’autres termes. La franc-maçonnerie, de ce côté-là, sous la férule politique de Maurice Duplessis (1890-1959) et l’hégémonie catholique de l’abbé Lionel Groulx (1878-1967), était et reste probablement doublement honnie, que ce soit la variante française de plus en plus laïque ou la version originale anglaise, conçue comme l’un des outils d’un système de domination). Du côté anglophone, l’imprégnation marxiste de certains universitaires (les derniers des Mohicans) leur fait tout simplement forclore cette franc-maçonnerie de leur esprit pourtant bien cortiqué. Ils considèrent probablement, s’ils venaient à y penser, qu’elle est une structure de collaboration de classe jugée sans importance, d’autant qu’elle est aujourd’hui en déclin dans sa forme anglo-saxonne. Mais un historien se devant de connaitre le passé, nous pouvons regretter d’en être au point où la relation non accessoire d’un des personnages les plus cruciaux de l’histoire du Canada à la Grande Loge Unie d’Angleterre n’est pas mentionnée. Des ouvrages récents en témoignent à l’envi. Pourtant, à l’époque, cette obédience était une institution puissante, aux côtés de la Couronne et de l’Eglise anglicane et commençait à peser au Canada anglais. La notice du très officiel Dictionnaire biographique du Canada, disponible en ligne dans les deux langues nationales ne souffle pas non plus un mot de l’appartenance maçonnique du Comte.
(http://www.biographi.ca/fr/bio/lambton_john_george_7F.html)
John George Lambton a pourtant bien été reçu franc-maçon dans la loge n° 124, Granby Lodge, du nom de cette ville située à l’est de Nottingham en 1814, c’est à dire juste après le traité d’unification de la Grande Loge des Ancients et de celle des Moderns intervenu l’année précédente. Cette loge, qui existe toujours, s’appelle Marquis of Granby Lodge. Durham eut rapidement des responsabilités. Le dictionnaire de la Franc-Maçonnerie dirigé par Daniel Ligou (Presses Universitaires de France, édition 1994, p.396) nous apprend qu’il fut Député Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre de 1833 à 1839 et Pro Grand Maître en 1839, dans les derniers mois de son existence, exerçant par ailleurs la fonction de Grand Maître Provincial du comté de Durham de 1818 à 1840. Tout cela est vérifiable en détails dans le livre du Rev. Geo : Oliver The history of Freemasonry from the year 1829 to the présent time, Londres, Richard Spencer, 1841, ouvrage disponible en ligne par l’entremise de Google books.
Rappelons que le Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre était alors le Prince Augustus, Duc de Sussex. Une citation est attribuée à John George Lambton, comte de Durham. Elle est reprise sur de nombreux sites maçonniques et repérable dans E.R. Johnson, Masonry Defined, Kessinger Publishing, LLC (2002) « I have ever felt it my duty to support and encourage the principles of Freemasonry, because it powerfully develops all social and benevolent affections». Signalons également qu’une loge de l’Independent Order of Odd Fellows porte son nom. Il faut aller chercher sur le site antimaçonnique « Complot contre le Québec », inactif depuis 2010, une image de Lord Durham en tenue maçonnique. Si complot il y eut en cette affaire, c’est bien celui du silence, forme mineure, mais ici efficace, d’anti-maçonnismes convergents.
(http://complotquebec.blogspot.fr/2010/05/histoire-secrete-du-quebec.html)