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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Petit catalogue des maux politiques français/ Épisode 3 : l’identité

Vos papiers, siouplaît !

 

 

Échecs électoraux, pertes d’adhérents, division des « frondeurs »… Jean-Christophe Cambadélis a lancé des états généraux pour le Parti socialiste (PS) jusqu’en décembre 2014. Cependant la formulation de la question principale énoncée dans le « guide des états généraux » (L’Hebdo des socialistes, n°742, 6 septembre 2014) et soumise aux militants, laisse très perplexe, car elle fait la part belle à la notion d’identité. L’introduction du Premier secrétaire la cite à plusieurs reprises : « Il ne s’agit pas seulement de se pencher sur notre place dans le paysage politique mais, plus radicalement, de réfléchir à ce que nous sommes. En un mot, il faut nous pencher sur notre identité » ; « Chacune et chacun vont pouvoir contribuer directement à la rédaction de la nouvelle carte d’identité de notre parti » ; « L’identité, ce n’est pas rien. L’identité est ce qui permet l’action et lui donne tout son sens ».

Se focaliser ainsi sur le questionnement identitaire, c’est, au mieux, une maladresse ou une simplification regrettable, au pire c’est laisser croire que l’objectif est de marginaliser la richesse des identités socialistes qui, depuis la fondation du parti, ont navigué du libéralisme au marxisme, de la révolution au réformisme : en 1905, le parti socialiste s’est créé à partir de 5 tendances, lointains ancêtres des courants actuels, à partir des « possibilistes » de Paul Brousse, des « allemanistes » de Jean Allemane, des indépendants comme Jean Jaurès ou Alexandre Millerand, des marxistes de Jules Guesde et Paul Lafargue et des « blanquistes » d’Édouard Vaillant. Mais l’appel à une identité singulière et unique, consistera, pour les uns, à expulser le « surmoi marxiste » selon la formule du premier ministre Manuel Valls (L’Obs, 23 octobre 2014) et, pour les autres, à expulser la « ligne sociale-libérale » selon la formule du député Yann Galut (Tweet du 27 août 2014)…

 

La mobilisation de l’identité marque la triste hégémonie culturelle du Front national sur les partis de gouvernement. La droite s’y était déjà essayée en 2009 avec le débat sur « l’identité nationale », là où l’identité, forcément unique, exhortait les Français à chasser la part d’étranger en nous, c’est-à-dire ces éléments à partir desquels il faudrait mener la purification que, bientôt, plus personne, Nicolas Sarkozy y compris, n’a pu contrôler.

Le débat sur l’identité sert toujours de diversion. En 2009, un président devenu impopulaire en quelques mois tentait de détourner l’attention des vraies questions relatives aux moyens de régulation du capitalisme. En 2014, un parti encore plus impopulaire tente de détourner l’attention sur l’absence d’un projet global qui dépasserait la résorption des déficits. Dans les deux cas est entretenue le vieux fantasme politique d’une identité singulière, pure ou à purifier. Or, plutôt qu’au singulier, l’identité se vit au pluriel. Un même individu peut ainsi revendiquer des identités de genre, ethnique, religieuse, professionnelle, territoriale, sociale ou nationale. Une identité se définit plus par les écarts, les distances qui l’éloignent ou la rapprochent d’une autre identité que par de franches séparations, sa définition n’existe que par rapport aux autres.

Même Jean Jaurès, pourtant attaché à la dynamique unitaire de la République, avait déjà su évoluer dans sa conception des relations entre identité singulière et identité universelle : « Il est impossible d’éduquer pleinement le producteur si on ne lui donne pas l’idée des forces qui l’ont fait ce qu’il est déjà, c’est-à-dire capable d’aspirer et de monter plus haut » (« L’Esprit de l’éducation populaire », Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieure, 3 octobre 1909), véritable invitation à agrandir sa propre culture par celle des autres, à se servir des « petites patries » comme autant de médiations vers l’universel, comme le premier pas vers nos identités plurielles, vers des identités qui se créent en se reconnaissant plutôt qu’en s’affrontant.

 

Petit catalogue des maux politiques français/ Épisode 3 : l’identité
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