Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
L’Église, complice de l’ordre
Julien Vercel
Seulement trois films français mentionnent un maçon : L'Âge d'or de Luis Buñuel (1930) ; Z de Costa-Gavras (1969) et Coup de torchon de Bertrand Tavernier (1981). Dans ces films, à la différence de la maçonnerie, la religion est toujours du côté de l’ordre...
Dans L’Âge d’or et Z, les liens qu’entretient l’Église catholique avec l’ordre la disqualifient. C’est ainsi que « l’homme » est sans arrêt contrarié pour vivre son amour pour « la femme » (Lya Lys) par les représentants de l’ordre établi. Mais la disqualification de l’Église n’apparaît pas dans les scènes où l’homme est présent, elle encadre le récit. D’abord l'Église est raillée en tant qu’institution au début du film : après un documentaire sur les scorpions, le récit se poursuit avec des vues d’une île dont les côtes rocheuses sont gardées par des évêques en grands habits. Mais, quand un gouverneur vient ensuite sur l’île, les évêques sont devenus des squelettes sur leur rocher. Et le dernier épisode est carrément blasphématoire : le comte de Blangis qui a les traits du Christ participe à une orgie. L’ultime plan du film montre une croix où sont accrochés des cheveux de femme qui flottent au vent.
Dans Z, les comploteurs justifient leur action par la religion. Ainsi, quand le procureur général (Georges Rouquier) essaye de convaincre le juge d’instruction de ne pas inculper les forces de l’ordre, il explique : « Comme si ça ne suffisait pas que ce pays soit envahi par des voyous à cheveux longs, par des athées, des drogués au sexe indéfinis, maintenant vous voulez mettre en cause les forces armées et la justice, les seules encore intactes dans ce pays pourri par les partis et le parlementarisme au moment où on rêve de rénovation, un pays sans parti, sans gauche ni droite, un pays obéissant à Dieu et à son destin ». L’organisation secrète liée à la gendarmerie et à la police contre laquelle combat le maçon s’intitule d’ailleurs « CROC » pour les « Combattants royalistes de l’Occident chrétien » et veut défendre les deux piliers de la civilisation : la religion et la monarchie.
Quant à Coup de torchon, Lucien Cordier avoue : « Je suis pas là pour faire la police, moi, je suis le Christ ». Lui fils d’un père antimaçonnique, est même le Christ ressuscité puisqu’à la fin, lors du bal donné à l'occasion de la paix –certes fragile et provisoire- obtenue grâce aux accords de Munich, il dit, en dansant avec Anne, l’institutrice (Irène Skobline) : « Je suis mort il y a si longtemps ».
Il est intéressant de noter que, quel que soit le film, l’Église n’est jamais du côté des maçons puisqu’elle est fossilisée ou violente avec les femmes dans L’Âge d’or ; antidémocratique dans Z et inspiratrice d’une justice expéditive dans Coup de torchon.
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La comparaison des images de la franc-maçonnerie et des maçons dans ces trois films a évidemment ses limites. D’abord parce que le corpus est maigre (merci aux travaux de recherches et de compilations de la « Grand Lodge [canadienne] of British Columbia and Yukon » et de l’Internet Movie Database-IMDb). Seulement trois films ont été identifiés dans tout le fonds cinématographique comme relevant de la catégorie « films français » citant explicitement un fait franc-maçon. Ensuite parce que ce corpus est particulièrement hétéroclite : L’Âge d’or est un film d’inspiration surréaliste de 1930 ; Z est un film militant tiré du roman éponyme de Vassilis Vassilikos et affirmant clairement son opposition à la dictature des colonels en Grèce de 1967 à 1974 et Coup de torchon est une transposition dans la France coloniale d’avant-guerre du roman 1275 âmes (Pop. 1280) de Jim Thompson (1964) se déroulant dans les années 1910 au Texas ! Pas étonnant donc que des différences importantes sont constatées, soit dans la manière dont surgit la franc-maçonnerie dans l’histoire de chacun de ces films, soit dans la façon dont ils reflètent la pensée ou le jugement de leur époque sur la maçonnerie.
Mais il n’empêche que, dans ces trois films, deux grandes constantes se dégagent. La première est l’utilisation de la maçonnerie pour typer un personnage, l’inscrire dans une représentation facilement décryptée par le public. La seconde est que tous ces films présentent une version particulièrement hostile de la religion qui est, de plus, toujours instrumentalisée par le pouvoir et l’ordre établi (L’Âge d’or et Z) ou par des assassins (L’Âge d’or et Coup de torchon).
FIN