Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
La Déshérence des clergés
Une certaine partie de la franc-maçonnerie française aura eu, au moment où se construisait la République, la réputation d’être anticléricale. Même s’il demeure ici où là des traces de cette attitude, ce n’est pas elle qui nous guide ici, mais plutôt une volonté de lucidité dont nous savons d’ailleurs d’expérience que les anticléricaux ne l’apprécieront pas forcément, puisque l’annonce de la quasi disparition du catholicisme français dans les prochaines années les prive en quelque sorte de leur ennemi principal. Pas de curé à manger au petit-déjeuner…
Le tableau « Le Néophyte » de Gustave Doré (huile sur toile dont il existe des versions gravées) nous a semblé d’une brûlante actualité, en ce qu’il illustre à la fois le vieillissement du clergé et la rareté de son renouvellement. Ayant produit il y a deux ans un ouvrage qui résume la situation en une phrase qui fit son titre Une Europe sans religion dans un monde religieux (éditions du Cerf), nous donnerons d’abord, pour nous limiter ici à la situation de la France, des éléments statistiques qui nous permettront de tirer quelques conclusions à partir de ce qui relève d’un véritable effondrement.
En tant qu’elle est catholique, la religion apostolique et romaine attache une haute importance à son clergé, hiérarchisé et seul apte à délivrer la plupart des sacrements qui structurent son corpus théologique. Or si le Pape François vient de nommer un nouveau cardinal français, la base de ce clergé, les prêtres incardinés, le plus souvent appelés séculiers, installés dans une paroisse, d’une part, mais aussi les prêtres religieux dont les Jésuites et les Dominicains, les moines et les religieuses, subissent depuis 1950 une baisse constante de leurs effectifs. Cela les a amenés, pour chacune des catégories précitées, en 65 ans (nombres arrondis), de 43 000 à moins de 10 000 pour les prêtres séculiers, de 5 000 à 3 000 pour les prêtres religieux, de 10 500 à 3 500 pour les moines, de 130 000 à 20 000 pour les religieuses (17 000 apostoliques et 3 000 moniales). Si l’on ajoute à ces chiffres implacables le vieillissement de la population cléricale dont plus de la moitié dépasse les 75 ans, on ne fait qu’approcher la date de la chute finale, s’entend le moment où il ne restera qu’un nombre de religieuses et religieux très insuffisant pour assurer baptêmes, mariages, enterrements, retraites etc. Dans cinq ans, autour de 2020, on devrait compter en France environ 6 000 prêtres incardinés, mais dont seuls 2 000 seront âgés de moins de 75 ans et donc probablement actifs, bien au-delà de l’âge de la retraite civile, dont on trouvera peut-être un quart en soutane et disant la messe en latin. On notera au passage que c’est au moment où le clergé disparaît qu’il est sujet de fiction au cinéma (« Des hommes et des dieux » http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=56826.html)
ou à la télévision (cf. la série d’Arte « Ainsi soient-ils » http://asi.arte.tv/fr)
Parallèlement, tous les indicateurs sont à la baisse, ce dont, très lucidement, témoignent régulièrement les médias catholiques sur papier ou en ligne, avec un sentiment de désolation pour les modérés et une touche d’ironie pour les traditionalistes qui ne tirent au passage qu’une partie des marrons du feu, dans la mesure où leurs effectifs ne sauraient fournir une permanence de ce qu’ils considèrent comme la véritable catholicité qu’à une petite marge. Tous les rites de passage, pour parler anthropologiquement, se laïcisent (baptêmes, communions, mariages, enterrements religieux sont en effet en baisse constante) et certaines régions sont à ce point touchées par la déshérence que des entorses à la règle sont de facto autorisées quand il s’avère par exemple impossible de trouver un prêtre, fût-il étranger, pour assurer à un défunt des obsèques religieuses.
Parallèlement, les pratiques religieuses juives et protestantes libérales déclinent. Ce qui se développe a contrario en matière d’Islam et de Protestantisme évangélique mériterait un long développement. Mais comme il ne concerne pas la « clientèle » maçonnique, nous n’insisterons pas. En un mot comme en cent, les couches hautes et moyennes de la société croient et pratiquent de moins en mois. Les classes dominées et souvent discriminées, notamment pour les personnes d’origine étrangère, parfois victimes de racisme, sont, au contraire, massivement concernées par un maintien, voire un développement des pratiques religieuses.
À suivre