Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
De la prudence au rejet politique
Le concept de care qui peut être traduit par « soin » ou « sollicitude », ne bénéficie, en fait, d’aucune traduction qui rendrait compte de la totalité de son sens… D’ailleurs son origine anglo-saxonne explique le premier rejet dont il a fait l’objet. Ainsi, quand Martine AUBRY reprend la plume en 2013 pour lancer une initiative intitulée « Renaissance » (« La France a la possibilité d’inventer un autre monde », Le Monde, 26 août 2013), elle semblait prendre ses distances avec le care et préférait insister sur la fraternité de notre devise républicaine définie comme « l’attention de tous à chacun, mais aussi de chacun à tous. Lorsque je l’ai lancé, ce débat a été caricaturé autour de la notion de care. Il n’en reste pas moins qu’il convient de revendiquer l’altruisme comme une valeur sans laquelle aucune société ne tient debout durablement ». Elle souhaitait enfin que la France « ouvre des perspectives pour la culture, la science, l’imagination, la liberté, le bien-être ! »
Il faut dire que les critiques avaient plu depuis 2010. Pas étonnant pour une notion qui a le double tort d’être anglo-saxonne et d’origine féministe ! Passons sur Jean-Michel Apathie qui, sur son blog , se moque et affirme que « La nunucherie fait des vagues » (16 avril 2010 et 28 avril 2010). À gauche, c’est Manuel Valls qui exprime le rejet le plus complet. Dans une tribune intitulée « Promouvoir comme panacée une société du soin est une erreur profonde » (Le Monde, 14 mai 2010), il explique que « l’individu n’est ni malade, ni en demande de soins », mais qu’« il demande à pouvoir agir en toute liberté, car partout il est empêché ». Le care comporterait donc, selon lui, deux risques majeurs : celui de faire croire aux citoyens que leur État, pourtant fortement endetté, est aussi leur « débiteur » et celui de passer à « une société du sentiment où la promesse serait celle d’un bien-être, d’une douceur, bref d’un bonheur qui, par définition, n’est accessible que par un chemin strictement personnel ». Pour Manuel Valls, le care est inadapté à la France, car c’est une « vieille idée des années 1980 qui s’enracine dans une conception féministe-différentialiste américaine réclamant un État plus attentif aux minorités ». Il en appelle plutôt à « une autorité émancipatrice capable de donner à chacun, non pas des soins, mais les moyens de se bâtir, en parfaite autonomie et en responsabilité, un présent et un avenir ».
Quant à Nathalie Kosciusko-Morizet, elle réfute l’idée d’une « nature » féminine bienveillante, refuse de croire que « la compassion bienveillante puisse tenir lieu de réponse politique à la souffrance sociale », préfère utiliser les concepts français de « solidarité sociale » et de « morale universaliste » et résume finalement le care à un « retour à un discours de l’assistanat social et des bons sentiments ». Elle se propose donc « de garantir à tous l’égalité des chances qui permettra à chacun de mener son existence avec les capacités qui sont les siennes »(« Care ou le triomphe des bons sentiments », Le Monde, 13 mai 2010).
L’assaut de critiques n’empêche pas d’identifier le care dans les sources d’inspiration de certaines prises de position ou réformes récentes. Il y a d’abord celles et ceux, comme Laurence Rossignol qui se revendiquent ouvertement du care en s’opposant au travail dominical : « Le dimanche, il y a mieux à faire que de consommer » (1er décembre 2013) ou expliquent, comme Jérôme Guedj, que le papy-boom encourage la marche vers une société du care (Plaidoyer pour les vieux, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2013).
Dans l’exercice du pouvoir, la préoccupation du care se traduit par une action tournée vers la prévention plutôt que vers la réparation. Il arrive donc de faire du care sans le savoir. Le projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement, actuellement en navette entre les deux assemblées, est, à ce titre, significatif de cette approche. D’autant plus que ce projet marque un premier pas dans la reconnaissance des aidants, trop souvent ignorés par les médecins.
À suivre