Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Les fondations
Mélisande Morlighem
Les Cultural Studies, expression que l’on traduit rarement en français, ce qui montre à quel point il s’agit d’une importation conçue comme telle, sont nées en 1964 à l’université de Birmingham. Il s’y est créé une école de pensée du même nom, animée par Richard Hoggart (1918-2014), Raymond Williams (1923-1988) et Edward Thompson (1924-1993). Ce courant de recherches qui a légitimé bien des sujets jugés auparavant sans intérêt a fait l’objet, tardivement, de synthèses de qualité en langue française, parmi lesquelles celle d’Armand Mattelart et Erik Neveu (Introduction aux Cultural Studies, La Découverte, col. Repères, 2003) dont ces lignes s’inspirent librement, mais il tarde à donner des travaux comparables à ce qui sortit de l’école de Birmingham.
Le livre fondateur de ce nouveau paradigme qui sera plus tard extrêmement diversifié aura été, pour Hoggart, The Uses of Literacy, traduit en français par La Culture du pauvre et sous-titré Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, sorti en 1957 chez Minuit. Williams publiera pour sa part Culture and Society : 1780-1950, en 1958, qui ne sera traduit en français qu’en 2009 (Culture & matérialisme, traduction de Nicolas Calvé et Étienne Dobenesque, Éditions Les Prairies ordinaires, 2009), et Thompson produira The Making of the English Working Class en 1963 (La Formation de la classe ouvrière anglaise, Le Seuil, 1988). Ses autees ouvrages traduits en français sont : Temps, discipline du travail et capitalisme industriel (La Fabrique, 2004), La Guerre des forêts. Luttes sociales dans l’Angleterre du XVIIIe siècle (La Découverte, 2014) ; Les usages de la coutume. Traditions et résistances populaires en Angleterre, XVIIe-XIXe siècles (Gallimard, Le Seuil, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2015).
Dans tous les cas, il s’est agi pour les auteurs de mobiliser tous les éléments disponibles, aussi bien documentaires qu’analytiques, pour comprendre ce qu’avait été la réalité de la culture populaire, au sens large du terme et, par là-même, ce que l’on pouvait espérer comme compréhension des sans voix du moment. Ce trio de socio-historiens s’inscrivait dans une optique marxiste, mais qui se voulait ouverte à l’analyse des systèmes de valeurs, comme celle de Gramsci (1891-1937) l’avait été pour la prise en compte de la dimension culturelle. Contre un certain déterminisme économiste, ils proposaient d’étudier à la fois la culture de masse et les valeurs des dominés, celles-ci ne relevant pas uniquement de la prise en compte du discours du maître, ou d’une attitude de résistance, mais d’un mélange, d’une composition complexes et mobiles. On notera toutefois que les sociétés fraternelles populaires paramaçonniques, aux effectifs massifs, Odd Fellows, Foresters, etc. auront constamment échappé au regard d’Hoggart et des historiens anglais de la classe ouvrière, ceci, car il n’est guère d’autre explication possible, par un antimaçonnisme hérité de leur marxisme.
Citoyens britanniques, les trois intellectuels étaient proches de la New Left, en marge du Labour Party et il est intéressant de noter combien ils ont davantage réussi leur projet intellectuellement que politiquement. Les cultural studies ont rapidement constitué une nouveauté dans le domaine universitaire et le mouvement des idées, ce qui a conduit leurs promoteurs à créer à Birmingham un Centre for Contemporary Cultural Studies où l’on a cherché d’entrée à faire éclater les structures traditionnelles, tout en s’appuyant sur des revues pour éviter la marginalisation, notamment Past and Present et History Workshop Journal.
Dans ce cadre institutionnel et éditorial, tout un champ de recherche, parti d’un décalage ressenti entre la littérature et la société anglaises, s’est alors ouvert, notamment dans le domaine des subcultures (le mot anglais n’ayant pas la connotation négative de « sous-culture »), prenant en compte un grand nombre de marges et légitimant des thèmes comme la musique rock et punk, les cultures immigrées et deux registres particulièrement cruciaux qui vont connaître des développements proliférants, le « genre » et la « race » (là-aussi, le mot anglais est moins lourd que le français). Armand Mattelart et Erik Neveu expliquent que les chercheurs pionniers se sont nourris d’autres courants sociologiques - notamment l’interactionnisme- d’ethnologie et d’histoire sociale, avec un intérêt certain pour la documentation.
À suivre