Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
À propos de La Crise de Régis Messac (préface de Michel Besnier, éditions Ex Nihilo, 2013)
Arsène
Cet ouvrage contribuera sans nul doute à l’approfondissement de la connaissance de l’œuvre messacquienne, défendue depuis des années par une équipe de chercheurs rassemblée autour du petit fils de l’écrivain et d’une revue Quinzinzinzili. L’ouvrage reprend l’intégralité des chroniques rédigées par Roger Messac pour une revue à la fois littéraire et artistique, Les Primaires, qui était éditée par des instituteurs et dont un extrait de la charte, publiée en janvier 1936, donne le ton et l’ambition : « La bourgeoisie a ses revues, puissantes, fournies, argentées et dorées. Le peuple n’a pas encore la sienne : un organe sans exclusivisme doctrinaire, partisan, mais non partial, intransigeant sur la question de la vérité ».
Le livre reprend 114 éditoriaux parus sous la plume de Messac ou conjointement signées avec Roger Denux et quelques textes de son ami René Bonissel, le tout entre janvier 1930 et mars 1940. Comme le souligne Michel Besnier dans sa préface, il est difficile à qui ne serait pas un spécialiste pointu des années 1930 de connaître l’ensemble des tenants et aboutissants des causes que Messac défend. D’où le précieux travail effectué en fin de volume par Oliver Messac qui produit une somme de repères biographiques, plus un index des noms de personnes et une bibliographie. Cette édition critique permet de suivre au plus près une actualité politique et culturelle de ce point de vue très original, solitaire, témoignant d’une déception chronique vis-à-vis des appareils, à mi-chemin entre la marginalité et l’avant-garde, avec un souci constant du collectif. Cela nous permet, entre autres, d’observer comment un pacifiste indécrottable va finir par devenir résistant, à mesure qu’il aura conscience de la montée des périls. En janvier 1939, Messac écrit encore « Sous le signe de la Paix, nous allons, en 1939, poursuivre notre marche. Nous souhaitons qu’autour de nous se groupent toutes les bonnes volontés pour soutenir, aider une œuvre exclusivement au service de la Paix, des travailleurs et de la liberté ». Quand on connaît ce que sera la fin tragique de l’écrivain dont le corps ne sera jamais retrouvé après sa déportation, on mesure ce qu’a pu être son déchirement.
Au gré de ses chroniques, Messac nous distille quelques pépites, comme, en janvier 1935, avec « un maréchal, c’est une légume » où l’auteur règle son compte à Pétain, à propos de considération sur l’éducation parues dans La Revue des Deux Mondes. Toute la question restera de savoir, à propos des productions qui se multiplient (dont certaines, à l’image de celle-ci, sont de grande qualité) et qui remettent au goût du jour la fin des années 1930, de savoir si cela nous éclaire sur la période présente. Pour ce qui tient à la crise de la représentativité, pas l’ombre d’un doute et cela produit, à la lecture de certaines chroniques un sentiment troublant. Mais cet ouvrage intéressera aussi au premier chef les enseignants, dans la mesure où Messac, dans Les Primaires, se pose comme tel, à la fois d’un point de vue professionnel et comme agent de transmission des connaissances. La société des amis de Régis Messac qui fêtera l’an prochain son dixième anniversaire aura contribué à revivifier un objet d’histoire culturelle passionnant. En juillet 1934, Régis Messac avait tenté de créer un hebdomadaire, L’Incorruptible, mais, faute de moyens, il dut en rester à la mensualité des Primaires et confier à d’autres supports comme L’École émancipée ses chroniques politiques et revues de presse. Ce travailleur infatigable passionnera aussi toutes celles et ceux qui prennent en charge un projet éditorial et l’entretiennent contre vents et marées. Pour Messac, ce fut dans la tempête.