Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
À propos de l’exposition au Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, du 4 mars au 28 juin 2015
Adon Qatan
Voilà une excellente exposition qui nous rappelle que la véritable magie –la technique du surnaturel, de la transphysique, pas l'illusionisme artistique–, basse comme haute, petite ou grande, procède toujours d'une tradition culturelle, linguistique et spirituelle précise, se trouvant indéfectiblement liée et puissamment enracinée dans une révélation divine et une religion particulière, ici en l'occurrence le Judaïsme. C'est dire que nous sommes loin, très loin des incohérences néo-superstitieuses, du syncrétisme déficient et des conglomérats pléthoriques d'inventions personnelles, et autres « psychologismes » des occultismes du XIXème siècle et plus récents tels que le New Age, allant jusqu'à faire le lit des conspirationnismes les plus répugnants et absurdes.
Ce qui frappe au premier abord, c'est la quantité de protections diverses (bols incantatoires, rouleaux, linges décorés, plaques métalliques, armes consacrées, pierres...) pour la maison, pour la famille, pour préserver le couple, pour les rites de passage (à commencer pour la circoncision), et pour les femmes enceintes, les accouchements et les enfants qu'ils soient petits ou grands, bref pour la survie de la plus petite cellule communautaire. Protections qui agissent comme de véritables fortifiants psychiques –où nous voyons donc que la petite théurgie est aussi une thaumaturgie.
Dans ce contexte, si Satan est bien cité comme le Mal surnaturel au sens général, ce que les chrétiens nomment le Diable ou le Démon, nous découvrons d'emblée une autre figure qui met justement en danger le couple, les accouchées et les nouveaux nés : Lilith, la mystérieuse première femme d'Adam, l'archétype de la fornicatrice, séductrice et donc sorcière, modèle des prostituées et mère des démons incubes et succubes, l'Impureté incarnée. Nous touchons ici l'une des sources majeures de la morale judéo-chrétienne classique, la dualité de la Mère et de la Putain, personnifiant le Pur et l'Impur, le Licite religieux et l'Illicite irreligieux et magique, le Mariage et l'Adultère.
On y aperçoit aussi de quelle manière les corpus magiques chrétiens (antique-gnostique et de la Renaissance) et musulmans ont pu s'y ressourcer, référer ou greffer, sous-entendant et utilisant la primogéniture généalogique, pleinement historique, du Judaïsme sur le Christianisme et l'Islam – chose éminemment logique et rationnelle certes, mais difficilement admissible pour le Christianisme et complètement impossible pour l'Islam !
Que de beauté et de minutie dans l'art des talismans et des amulettes ! On peut y observer une cohésion, une suite structurelle précise des formules, des figures et des sceaux qui gardent tout leur mystère, dans les rouleaux et les tableaux talismaniques... ce qui est finalement l'apanage logique de toutes vraies traditions-transmissions.
Voyant aussi de nombreux recueils de magie kabbalistique exceptionnels, livres anciens comme cahiers modernes transmis dans certaines familles, de longs et fins rouleaux théurgiques développant la métaphysique de l'arbre séphirothique, véritables pense-bêtes mystiques ou échelles de Jacob miniatures, je m'interroge : étudie-t-on sérieusement cette matière et va-t-on publier un jour tout cela en français ? J'attends ces merveilles avec impatience.
Mais personnes au nephesh sensible s'abstenir ! Il y a là des objets réels qui furent consacrés en leur temps... d'aucuns, des visiteurs sensitifs, pourraient en ressentir encore les effets. Il va de soi que je présuppose ici, contre la doxa désormais commune, que le divin et ses dérivés, le sacré et le magique, seraient éventuellement, des données objectives du réel.
Convictions et compréhension étant justement affaires individuelles, les rationalistes athées et agnostiques n'y verront au mieux qu'art charmant populaire et traditionnel, et au pire qu'éternels cafouillages et égarements de l'esprit humain, avec l'imagination, cet alibi moderniste à tout faire, au milieu. Les irrationalistes occultistes seront bien évidemment confortés d'une manière ou d'une autre dans leurs fantasmes et délires, et par-delà, je ne saurais recommander cette exposition aux complotistes.
À ce propos et hors exposition, souvenons-nous d'Abraham Serfaty (1926-2010), ce grand communiste marocain d'origine sépharade (d'ailleurs authentiquement antisioniste, contrairement à d'autres), qui emprisonné dans les geôles d'Hassan II pendant 17 ans, de 1974 à 1991, faisait trembler bien malgré lui ses gardiens sous le seul prétexte qu'il était juif ! Ils craignaient, paraît-il, ces forts et braves musulmans aux ordres du Commandeur des croyants, qu'il use de ses puissants sortilèges hébraïques ! Alors, judéo-bolchévique (comme disaient les nazis) et sorcier efficient ?! Que demande le peuple... et surtout la Révolution ?
Incidemment, nous voyons que certaines tendances à la paranoïa conspirationiste ont des racines culturelles précises, bêtise typique de la bigoterie dont malheureusement nul talisman ne peut protéger, à moins que... en cherchant bien dans cette superbe exposition.