Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Après les attentats des 7 et 9 janvier et la grande manifestation du 11 janvier 2015, la période de recueillement et d’hommage silencieux a laissé la place à la reprise du combat politique et du débat sur le sens de ces évènements exceptionnels, les récupérations de toutes sortes ont fleuri… Pourtant. Pourtant, au-delà des vies enlevées, du deuil, de la douleur des familles et des amis des victimes, ces 5 jours qui ébranlèrent la France ont marqué la politique française. La « séquence » -pour reprendre un terme de « storytelling » (Christian Salmon, Storytelling la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2007)- qui s’est déjà achevée, a révélé certains responsables politiques, mais en a largué d’autres. Retour sur ce qui fut le « moment de grâce » surnommé « l’esprit du 11 janvier ».
Celui d’avant toujours déphasé et celui en exercice enfin compréhensible
Beaucoup de commentateurs ont cherché les absents de la marche du 11 janvier, soit pour, justement, souligner leur absence (« La France black-blanc-beur n’était pas là » affirme ainsi Alain Finkelkraut, 18 janvier 2015 sur iTélé et Emmanuel Todd dénonce notamment la surreprésentation des classes moyennes supérieures dans Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse, Seuil 2015), soit, au contraire, pour montrer ceux qui étaient tout de même là (Libération et Le Petit journal du 12 janvier 2015 multiplient les images de la France « black, blanc, beur »), mais il est aussi intéressant de regarder les présents. En fait, le 11 janvier, à Paris et dans toute la France, c’est la foule de la grande manifestation du 30 mai 1968 (en soutien à Charles de Gaulle et au retour à l’ordre) qui a rejoint les grévistes de mai 1968 pour témoigner d’« une certaine idée de la France » (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, Plon, 1954), exprimer sa douleur contre les meurtres antisémites et défendre le droit d’expression, l’impertinence, un « certain esprit » qui, même quand il est considéré comme de mauvais goût, fait la France. Mais la nouveauté est que cet attachement à des valeurs soixante-huitardes se fait sur un mode post-soixante-huitard : La Marseillaise retentit, les forces de l’ordre sont applaudies, Notre-Dame sonne le glas… en soutien à des caricaturistes qui ont piétiné les symboles nationaux et ridiculisé l’armée et les religieux !
C’est là que Nicolas Sarkozy apparaît largué. Car il s’est spécialisé dans la détestation de mai 68 en bloc. Le 29 avril 2007, dans un meeting à Bercy (Paris), il avait accusé le « joli mois de mai » et ses héritiers de tous les maux de la société française : « le relativisme intellectuel et moral » ; la liquidation de l’école de Jules Ferry ; « le cynisme dans la société et dans la politique » ; l’abaissement du « niveau moral de la politique » ; le renoncement au mérite et à l’effort ; l’affaiblissement de « l’autorité de l’État » et avait conclu : « Dans cette élection, il s'agit de savoir si l'héritage de mai 68 doit être perpétué ou s'il doit être liquidé une bonne fois pour toutes ». Les manifestants du 11 janvier ont prouvé qu’ils tenaient à la liberté d’expression alors acquise. La solution de Nicolas Sarkozy, le rejet en bloc, est caduque.
L’ex-président s’est retrouvé sur la touche aussi à cause de sa personnalité qui reste son principal handicap : il s’est ridiculisé deux fois, d’abord en imposant la présence de sa femme, Carla Bruni, les cheveux sur les yeux et emmitouflée dans un pull cheminée, à la manifestation du 11 janvier, ensuite en essayant de figurer au premier rang avec les chefs d’État alors qu’eux, étaient en exercice.
À la différence de Nicolas Sarkozy qui, au sens propre comme au sens figuré, n’a pas su tenir son rang, la gravité de la situation a élevé les deux principales figures de l’exécutif. Et pour François Hollande plus particulièrement, les Français ont enfin compris ce qu’est un « président normal ».
Un « président normal », c’est celui qui joue le rôle de « père de la Nation », qui protège, qui assume sa fonction de chef des armées et donc de chef de guerre. Il faut se rappeler la confidence de François Hollande à Bamako, le 3 février 2013, alors que la population témoigne de sa reconnaissance envers la France : « Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique ». C’est aussi un président qui agit à son niveau, celui de la scène internationale en guidant la « marche républicaine » des gouvernants du monde entier à Paris.
Mais un « président normal » et c’est là une originalité toute « hollandaise », c’est aussi la « mère de la nation », celui qui est dans l’empathie avec les victimes et leurs proches, qui leur téléphone ou leur rend visite, qui les étreint et qui n’évite donc pas le contact physique. C’est enfin un président qui sait se taire et manier les symboles qui ont du sens. À ce titre, l’accolade donnée à Patrick Pelloux, le 11 janvier, est exemplaire. Le Président l’a d’ailleurs reconnu : « Aucun mot ne sera aussi fort que les images et les gestes » (Le Monde, 18-19 janvier 2015).
À suivre