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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les Mystères d'une ethnogenèse de la « question yézidie » : pourquoi ? (2/2)

La paon de verre, l'un ses symboles du yézidisme

La paon de verre, l'un ses symboles du yézidisme

Ayant donc parcouru le panorama – certainement imparfait – des tentatives génocidaires pluriséculaires sur le peuple yézidi, il reste à nous interroger sur le pourquoi. Pourquoi cette haine tenace allant jusqu'au massacre sans discernement, et cela à travers les siècles ? Nous ne pouvons nous contenter de la réponse lapidaire (c'est le cas de le dire !) des assassins qui nous jurent que les Yézidis sont des adorateurs du Diable. Cela est d'autant plus court que depuis le VIIème siècle c'est grosso modo le même stéréotype coranique qu'utilisent les persécuteurs pour désigner tous ceux qui n'entrent pas dans la catégorie, non moins coranique, des supposés très respectables « gens du Livre ». A savoir donc: l'ensemble des incroyants / mécréants : - les « polythéistes » que sont les païens, mais aussi les soi-disant « sectaires du Christianisme », qualifiés par l'orthodoxie chrétienne d'« hérétiques », survivants gnostiques ou gnosticistes tels les Marcionites, les Bardésanites, les Manichéens, les Mandéens, ou des groupes encore plus minoritaires comme les Koukéens, les Audiens ou les Yazdânites. Sans oublier la communauté plurielle de la ville d'Harrân (la ville d'Abraham !) à la fois païenne et gnosticisante; - les athées et les libertins; - tous les ennemis déclarés de l'Islam – ou plus précisément d'un Islam qui prétend être le seul et unique véritable Islam orthodoxe (d'où la guerre totale perpétuelle entre les Sunnites et les Chiites) – voire les ennemis non déclarés ou qui s'ignorent, innocemment, comme tels (voir Coran, sourate 8, 60).

Cette appellation d'« adorateurs du Diable » se fonde néanmoins sur une incompréhension volontaire de l'angélologie apocatastatique propre au Yézidisme, qui partant de la démonologie biblique (judéo-chrétienne puis islamique et soufie) qui fait du chef des anges, le grand révolté contre Dieu, créant ainsi l'Enfer et devenant le Satan, nous offre une suite inhabituelle, si ce n'est dans l'Origénisme et dans certaines théologies gnostiques (séthiennes par exemple). Il y a donc un moment donné – qui est variable suivant les versions orales sans être précisé forcément comme étant la fin des temps – où le Diable se repent, éteignant les flammes de l'Enfer de ses larmes et remontant au Ciel pour y retrouver, de toute éternité, sa première place d'esprit divin, en tant que Taus-i Melek, « Ange-Paon » (l'équivalent du Metatron de la Kabbale juive). Cette théo-angélologie ultra optimiste, refusant à sa manière le dualisme, la peine éternelle de la damnation et le Mal en général, n'est, nous le répètons, pas comprise volontairement, parce que non tolérée par les Islams littéralistes et fondamentalistes à prétention « orthodoxe », répétant donc avec une mauvaise foi manifeste et surtout criminelle que Taus-i Melek est le Diable – ce qui n'est objectivement pas le cas dans la religion yézidie, puisqu'il en est en fait le remède le plus absolu !

Quelles ques que soient les autres explications privilégiées par les instances ethnologiques, alliées, journalistiques ou même yézidies, tel spécialiste ou journaliste parlera de « religion païenne », « d'ancienne religion kurde », « préislamique », ou de Mazdéisme, de Zoroastrisme (ce qui est la conviction du Prince yézidi Moawiya ben Ismail qui a créé une « Association religieuse yézidi-zoroastrienne » en Allemagne, et qui expose ses idées dans son livre « To Us Spoke Zarathustra... ») ce qui ne tient ni pour les Zoroastriens, ni pour les universitaires; ou encore de « syncrétisme », ce qui est intéressant mais péjoratif, ou enfin de « religion prézoroastrienne » qui pourrait être une composante objective du Yézidisme... il n'en reste pas moins que le Yézidisme reste excentrique en milieu sunnite – et son statut préislamique n'a forcé le respect que très récemment chez les nationalistes Kurdes sunnites ou marxistes – et que le mystère de sa véritable ethnogenèse reste désespéremment entier. Son oralité, foisonnante et semi-accessible aux étrangers, ne facilitant pas forcément les recherches et le discernement immédiat. Cependant certains rares chercheurs se sont attachés, ces dernières décennies, à retranscrire ces traditions orales, ou tout au moins les plus atteignables (le plus remarquable d'entre eux étant Philip G. Kreyenbroek). Or, il apparaît de plus en plus clairement que sous le vernis soufi issu de la réforme de Sheikh Adi au XIIème s., d'autres éléments bien plus anciens transparaissent, des motifs bibliques et surtout gnostiques divers provenant des premiers siècles de notre ère. Exogènes d'abord, tels le Naassénisme-Ophitisme (s'alliant certainement au Marcionisme plus tardif, et peut-être au Simonisme survivant), le Séthianisme (qui influencera Valentin, Audi, Mani et leurs dérivés), le Basilidisme et le Valentinisme, puis indigènes tels le Bardésanisme, le Manichéisme, le Yazdânisme et l'Hermétisme harrânien. Même si actuellement l'idée fait très progressivement son chemin en milieu universitaire, elle est absolument ignorée par le grand public (qui a déjà beaucoup de mal à assimiler l'existence même des Yézidis, qu'il confond éventuellement avec des païens arabes, des Chiites ou des Roms ! Ignorant aussi totalement le domaine gnostique, oublié et incompris depuis longtemps) et par les Yézidis eux-mêmes. Car ceux-ci ont non-seulement perdu nombre des leurs au cours des siècles, mais aussi leurs livres saints (et cela déjà bien avant le XIIème s.), donc la partie la plus précieuse et la plus essentielle de leur mémoire spirituelle et de leur histoire, créant à la fois une oralité de survie tendant au secret et un stress social durable et renouvelé qui figea les structures politiques traditionnelles, nobiliaires et royales, ainsi que la classe mystico-sacerdotale, dans des castes endogamiques (d'ailleurs typiquement indo-européennes, et surtout indo-iraniennes), se fermant et s'ouvrant tour à tour aux étrangers amicaux, par méfiance et instinct de protection.

De nouveau, certaines puissances tentent d'exterminer les Yézidis et d'éradiquer le Yézidisme (c'est le sens des viols, des mises en esclavage et des tentatives d'endoctrinement), et mise à part qu'il faut évidemment tout faire pour les sauver physiquement, les accueillir ici, en France et en Europe, malgré une volonté populiste actuelle de restriction totale de l'immigration – les politiques et l'administration doivent impérativement et absolument prendre en compte qu'il s'agit de réfugiés démunis en danger de mort imminente dans leur pays d'origine, ce qui n'est pas rien selon nos lois et les principes humanistes qui sont, et qui doivent continuer à être les nôtres –, il faut aussi continuer à étudier, le plus finement possible, le Yézidisme, et en restituer les résultats fructueux aux Yézidis eux-mêmes, pour réparer les dégâts des siècles (une véritable amnésie !), qui se trouvent actuellement, et depuis un certain temps, dans l'état paradoxal de Gnostiques (ou de Gnosticistes) ignorants. C'est tout le sens de notre article « Le martyre infini des Yézidis » qui devrait paraître dans le n°7 de la revue Critica Masonica, constituant une introduction aux études gnostiques appliquées au Yézidisme. Bien sûr, cela ne va pas sans des études gnostiques tout court, dont une proposition de définition (ou de redéfinition) de la Gnose et du domaine gnostique en général, en tant que mouvement religieux antique, paraîtra également dans un prochain n° de Critica Masonica.

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Y
On attend l'article avec impatience
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