Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Adon Qatan
Un grand parti politique de la droite française défendant autant le « vieux capitalisme », le libéralisme comme le « néo-libéralisme », à prétention « conservatrice » et « nationale » (pour faire une différence relativement raisonnable avec le nationalisme d'extrême-droite), peut-il se prévaloir du nom collectif de « Les Républicains » ? Sachant que lorsque nous revenons aux fondamentaux de notre république française –fondamentaux tant historiques, politiques, qu'étymologiques– être « républicain », c'est simplement se réclamer de la République. Mais qu'est-ce que la République ?
Étymologiquement et dans les faits, c'est la res publica, « la chose publique » en latin, c'est-à-dire les lois et possessions communes, à l'usage de la collectivité populaire, en bref « l'intérêt général », les services que l'on dit publics assurés par l'État, tous les biens publics protégés par l'État dont la très nécessaire voie publique qui nous permet de circuler librement. Incidemment, nous comprenons le lien organique de la République française avec sa devise constitutionnelle : « Liberté, Égalité, Fraternité » –à laquelle on rajoute parfois « Laïcité »– définissant la « chose publique » suivant un équilibre précis qui fait tout l'ordre social et l'esprit de nos lois. Simple évidence civique dont nous avons l'impression que très peu de citoyens français ou supposés tels, ont encore actuellement conscience, permettant à un parti très particulier d'avoir le culot de s'arroger du titre de « Les Républicains » ; ce qui signifie que l'Union pour un mouvement populaire (UMP) a stratégiquement et cyniquement saisi l'existence de cette lacune civique.
Historiquement, on oppose donc l'Ancien régime royal, aristocrate et nobiliaire, au nouveau qui est républicain depuis la Révolution, avec quelques éclipses notables, jusqu'à maintenant. Car l'Ancien régime, en général (avec ses différentes modalités), avait ceci de particulier d'être un conglomérat –au mieux une fédération sous bannière royale– d'intérêts privés souvent en conflits. Évidemment, aucun républicain digne de ce nom ne voudrait revenir à un tel état de féodalité « améliorée », admettant que la Révolution française, malgré ses aspects regrettables les plus sombres et les plus sanglants, fut un bond qualitatif politico-social indéniable et surtout indéfectible, sur la base humaniste du Siècle des Lumières et même de la Renaissance.
J'ai bien conscience d'aligner jusqu'à présent des banalités politiques basiques normalement communément admises par l'ensemble des citoyens français. Et pourtant !
Ces fondements de l'esprit républicain français sont constamment remis en cause, et sapés théoriquement depuis des décennies, précisément par ces gens qui se font appeler maintenant « Les Républicains », qui étaient précédemment une « Union pour un mouvement populaire » (un vœu pieux ou une franche allusion à une stratégie populiste ?) et encore précédemment un « Rassemblement pour la République » (RPR) du temps du maintien d'un reliquat gaulliste, déjà idéologiquement fort ambigu et paradoxal. Là encore, il ne faut pas oublier à qui nous avons affaire : ni le « vieux capitalisme », ni le néo-libéralisme, n'ont à voir avec la « chose publique » et la notion d’« intérêt général », puisqu'il s'agit pour un parti politique unissant ces tendances, de défendre exclusivement et avant tout, les « intérêts particuliers » et la « chose privée » singulièrement des plus riches, voire d'engager et d'entretenir une opposition stricte entre de tels intérêts et tout ce qui peut maintenir et défendre l’« 'intérêt général », c'est à dire l'État (du latin status, autant « forme de gouvernement » que « stabilité »). Je passe sur l'« éthique » et la pratique de la concurrence à tout crin comme facteur de dissension sociale généralisée, barbarisme anarchique qui est bien sûr tempéré par la soumission des masses au patronat. C'est là tout le « conservatisme » de l'idéologie droitiste : la concurrence généralisée érigée en pseudo « loi naturelle » intangible et la soumission au plus fort, en fait au plus riche (ce qui est totalement différent), faisant partie de cette même fameuse « loi de la jungle », dont aucun être humain digne de ce nom ne devrait être fier –puisque ladite « loi » concerne plus la sauvagerie qu'autre chose !
Que l'on se réclame de surcroît de la Nation, n'est qu'un vernis esthétisant faisant la part belle au populisme extrême-droitiste, recyclant l'antique mécanique du bouc émissaire –ce miroir aux alouettes par excellence– pour mieux masquer, et remplacer, l'origine réelle de tous nos problèmes sociaux et écologiques. Quant au christianisme, même le catholicisme prédominant et à sa manière déficient (comme le protestantisme), on est en droit de se demander ce qu'il vient encore, et toujours, faire dans cette galère, si ce n'est comme allié opportuniste de survie, hors de son essence originelle et de son propos réel, égalitaire, fraternel et humaniste.
Il est d'autant plus incroyable que cette nouvelle dénomination de « Les Républicains » soit impulsée par un Nicolas Sarkozy dont nous avons vu précisément de quelle façon il traitait la République, son esprit et ses principes, non seulement lorsqu'il était président, mais même avant, quand il fut ministre de l'Intérieur pendant la présidence de Jacques Chirac. L'un des exemples les plus visibles de cet anti-républicanisme, fut et est encore –puisque cette politique à été reconduite et même officialisée– la fameuse « politique du chiffre », transformant n'importe quel agent de la maréchaussée en machine à verbaliser pour déterminer ses primes et notations (évaluations infantilisantes et scolaires, détachées de toute réalité objective de terrain), et surtout celles de sa hiérarchie qui, quant à elle, ne fait donc que « relever les compteurs » et capter en fonction des primes autrement plus conséquentes et injustifiées. Et nous passons sur la « dictature des statistiques » –autre fléau quantitatif– qui pousse certains à refuser des plaintes ou à éluder des affaires considérées comme « mineures »... c'est ainsi que l'État baisse des bras et regarde ailleurs, la « chose publique » devenant un chaos de non-droit vaguement organisé suivant l'arbitraire d'un intéressement descendant en cascade par les consignes hiérarchiques, sans troubler outre mesure la conscience civique et républicaine de grand monde. Que l'on comprenne bien ce qu'il se passe ici : il s'agit d'intéresser les fonctionnaires pour améliorer au maximum leur rentabilité et transformer leur travail de répression en une industrie rentable, visant la quantité plutôt que la qualité et nuisant totalement à leur neutralité de conscience et à leur tranquillité de jugement sur le terrain. Cela est contre la nature même de la fonction publique en général et n'est ni plus ni moins que de la « corruption interne » à l'administration puisque, éthiquement et légalement, les fonctionnaires doivent travailler en état de désintéressement total. Toute la déontologie se trouve donc faussée, et même renversée, par un tel système. Si on accepte la corruption interne (sous prétexte de gérer l'État comme une entreprise, ce qui est précisément contre la nature de l'État), pourquoi ne pas finir par accepter la corruption « externe » en général, et s'aligner sur ses trop nombreux pays qui continuent de pratiquer le bakchich ?
Remarquons que ces missions de voie publique sont rendues d'autant plus délicates par la décadence et l'amenuisement du civisme et de l'éthique républicaine au sein de la population, cela grâce encore à l'idéologie « anarcho-capitaliste » renouvelée par le sarkozisme.
À suivre