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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

À propos d’« Apocalypse France, la France maçonnique »

À propos d’« Apocalypse France, la France maçonnique »

Geplu

Apocalypse France, la France maçonnique était « annoncé » depuis mi-octobre avec des petites vidéos alléchantes. Problème, un regard attentif au casting laissait craindre le pire. Coréalisé par Paul-Eric Blanrue (proche des milieux négationnistes) et Julien Teil (journaliste édité par la maison d’édition d’Alain Soral), avec la participation de Jean-Yves Le Gallou et Pierre Hillard (extrême-droite), Dieudonné et Stéphane Blet et, en vedette américaine, le toujours aussi insaisissable qu'imprévisible Jean Solis...

Le film vient de sortir, avec un peu de retard. « Unique en son genre, ce film explore l’influence de la franc-maçonnerie dans l’histoire de France, de la Révolution à nos jours », dit le commentaire de présentation sur le site d'extrême-droite lelibrepenseur.org, très proche des réalisateurs. Dès jeudi dernier matin, j'ai téléchargé (8,90 € tout de même) et visionné ce film de 55 minutes dont vous pouvez voir la vidéo de présentation ci-dessous.

Un film très pro, très propre. Belles lumières, belles images, belles musiques. Le réalisateur/récitant/commentateur (en voix off très neutre, mais dont il est difficile de croire à l'indépendance d'esprit compte-tenu de ses engagements antérieurs), commence par dire dans son propos introductif que « L'un de ses objectifs avoués [de la franc-maçonnerie] est de dépasser les dogmes religieux et de rassembler les hommes au-delà de leurs croyances en se fondant sur des symboles universels ». Notez le« objectifs avoués ».

Le film commence réellement avec l'interview, inattendue, de Jean-Pierre Servel (JPS), le Grand maître de la Grande loge nationale française (GLNF) qui fait visiter, en le décrivant et en présentant outils et symboles, le grand temple de la rue de Pisan. Ce qui permet à Paul-Eric Blanrue (PEB) de poser sa première question : « Dans la franc-maçonnerie les symboles ont une importance cruciale, à quoi servent-ils ? ». C'est Jean Solis, présenté comme « « maçon, auteur et éditeur », qui répond le premier à la question, puis PEB ne peut s'empêcher d'aller interroger son ami Stéphane Blet, présenté comme « un pianiste et compositeur de renommée internationale ».« Il a été initié et est ressorti de la maçonnerie quelque peu dépité », précise PEB. Même question. Réponse : tout est symbole, non seulement dans la franc-maçonnerie, mais partout.

Revenant à l'histoire de France puisqu'il a choisi de s'interroger sur la France maçonnique, PEB évoque la Révolution française en partant des théories de l'Abbé Barruel pour qui la Révolution fut un projet et une réalisation maçonnique. « Il offre des arguments », précise-t-il. Puis, pour savoir comment la France a été bouleversée par la Révolution de 1789, il va interroger Pierre Hillard, présenté comme « un essayiste du camp traditionaliste » qui met lui aussi « la catastrophique Révolution française (1789 est la rupture d'un modèle de civilisation né avec le baptême de Clovis, où le Roi de France devient le lieutenant du Christ) » sur le compte des francs-maçons. PEB se demande pourtant ensuite, ingénument, « La franc-maçonnerie a-t-elle eu un rôle dans la Révolution française ? Il est difficile de le faire reconnaître aux principaux intéressés », affirme-t-il en passant un extrait de l'interview de JPS qui, à la question, répond évidemment que « l'on prête un peu trop à la maçonnerie dans le rôle qu'elle aurait joué dans la Révolution ».

On passe ensuite rapidement sur la IIIe République : « C'est le début du véritable règne de la franc-maçonnerie », dit PEB. « Au début du XXe siècle, chez les Radicaux, 3 sénateurs sur 4 et 1 député sur 2 sont francs-maçons ». Jean-Yves Le Gallou (JYLG), présenté comme un « haut fonctionnaire et homme politique engagé à droite » (très à droite, ils ne semblent pas connaître) évoque ensuite « l'affaire des fiches » qui est vite résumée : « Elle a eu des conséquences tout à fait gravissimes. On a fiché les officiers catholiques, mais dans la période qui a précédé 1914, on a promu des centaines d'officiers francs-maçons colonels ou généraux, et il a fallu remplacer quelques mois après le début de la guerre 150 généraux qui étaient totalement incapables. Cette soumission de l'armée au Grand orient a coûté des dizaines de milliers de morts ».

Stéphane Blet dit un peu plus loin que « la croyance en Dieu a été supprimée au Grand orient en 1904 par Desmons. Puis, même le concept du GADLU a été supprimé ». PEB enchaînant « On se perd en conjectures sur la notion étrange du GADLU ». L'interview de JPS reprend alors. Pour lui : « Tout est pourtant très simple. La GLNF étant théiste par nature, le GADLU c'est Dieu, le Dieu de la religion du livre. Chez nous les serments sont prêtés sur la Bible, le Coran ou la Thora ». Paul Hillard revient ensuite pour affirmer lui que « l'idéologie maçonnique s'oppose radicalement au concept catholique. La primauté de l'homme est un élément absolument contraire à la pensée catholique ». Jean Solis expliquant de son côté que la franc-maçonnerie ne se fonde pas sur une croyance (on croit, c'est une croyance, on ne croit pas, c'en est une autre). Ce qui est important c'est ce que l'on connait : la franc-maçonnerie est une gnose, car elle se fonde sur une connaissance intime et intérieure.

« Pourquoi y a-t-il cette obsession maçonne de la laïcité, qui donne à penser que les loges s'opposent à toute pensée religieuse traditionnelle ? La maçonnerie est-elle la religion de la République ? »(en opposition au catholicisme romain, « sur lequel la France s'est bâtie depuis Clovis ») se demande ensuite PEB ? Retour sur l'interview de JPS, qui répond« Peillon a pu dire que la franc-maçonnerie était la religion de la République, c'est peut-être valable pour le GODF, je ne peux pas parler en son nom, mais certainement pas pour la GLNF ».

Évoquant ensuite les lois inspirées par la franc-maçonnerie : « la loi Neuwirth, la loi Veil, ou le mariage pour tous plus récemment, PEB affirme : la plupart des grandes obédiences sont très fortement engagées politiquement et sociétalement ». Retour à JPS : « la GLNF ne joue aucun rôle politique. La GLNF, à l'image des 200 Grandes loges régulières du monde, ne s'investit pas dans un discours sociétal ou politique ». Quant à JYLG, il estime tout simplement que la plupart des obédiences sont « conformistes », mais que le GODF est sectaire.

Interrogations suivantes de PEB : « L'appartenance à la franc-maçonnerie est-elle un critère déterminant pour faire carrière ? » et « La franc-maçonnerie est-elle politisée ? ». Pour Emmanuel Rattier, présenté comme « un éminent spécialiste des réseaux occultes », il est clair que les « visites » de frères, de loges à loges, ne servent qu'à se créer des réseaux relationnels, occultes, et que les fraternelles en sont l'expression. Stéphane Blet compare ensuite les fraternelles à des lobbies. Quant à Jean Solis, il se demande « Qu'est-ce que l'on peut bien avoir à se dire en tant que franc-maçon dans ces réseaux parallèles ? ».

Question suivante, « La maçonnerie se déclare sans dogmes, mais n'y a-t-il pas tout de même certaines dérives sectaires ? ». Est évidement à cet instant repassé l'interview dans laquelle François Stifani, à l'époque Grand maître de la GLNF déclare, en mai 2008, à TV7 Sud-Ouest que « le Grand-Maître a la lourde tâche d'être un guide spirituel »...

Arrive ensuite Dieudonné, dont on se demande ce qu'il vient faire là. « S'il est quelqu'un qui s'est fait attaquer publiquement par des maçons, c'est bien l'humoriste Dieudonné. Ce qui est étonnant, car la franc-maçonnerie revendique comme principe de base la liberté d'expression » dit PEB,« Comment Dieudonné juge-t-il la maçonnerie ? ». Question un peu surréaliste à laquelle l'intéressé répond en rappelant avoir été invité à une tenue blanche fermée (TBF) en 2001 où il avait traité du thème « Vers un pouvoir métissé » et dont il a gardé l'impression d'une ambiance de tribunal. Une personne lui ayant posé la question « Y a-t-il de la haine en vous ? », question qu'il avait trouvée étonnante.

Et le film se termine sur cette inévitable question « Pour finir, c'est quoi le secret maçonnique ? »,à quoi JPS répond que « le vrai secret c'est l'initiation et que ce secret est impénétrable au profane, parce qu'il faut l'avoir vécu ». Quant à Dieudonné à qui la question est aussi posée, il ne sait pas, mais évidemment il trouve ça louche.

La conclusion est un long monologue de Paul-Eric Blanrue expliquant entre autres que : « D'abord ensemble de sociétés spirituelles demandant plus de libertés de penser et moins de dogmatisme, mais s'interdisant de parler de politique et de religion et surtout obligeant ses membres à croire en Dieu, la franc-maçonnerie, avec l'orientation athéiste prise par le GODF un siècle plus tard, est devenue un centre de parole politique, un laboratoire d'idées républicaines nourrissant une obsession laïciste, une passion dévorante pour l'égalitarisme faisant de la lutte contre Dieu et la religion l'une de ses constantes ». Ce qui est bien sûr, pour PEB, déplorable.

Que retenir de tout cela, si ce n'est que ce film, dont on pouvait se douter qu'il ne serait pas un éloge de la franc-maçonnerie, présente une surprenante dichotomie, sans nul doute volontaire, entre les invités francs-maçons, Jean-Pierre Servel et Jean Solis, tous deux tenants de la branche « régulière » et théiste de la franc-maçonnerie, et les intervenants profanes, tous anti-maçons notoires et ciblant leurs attaques uniquement sur un Grand orient de France accusé de tous les maux et grand absent des invités.

Mais il doit y avoir une suite...

[Reproduit avec l'aimable autorisation d'hiram.be]

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C
Ce film d’apres Geplu, est une relation assez fidele de l’histoire de la franc-maconnerie. Il y a en France un perpetuel malentendu sur son objet, GODF et GLNF pratiquant des choses tout a fait differentes parfois opposees.
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J
Ben voyons. L'antimaçonnisme existe toujours.<br /> Quand il est poli, il est encore plus dangereux.<br /> En tout cas ne pas passer ce film sous silence est très utile.
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G
Vu le film. Je ne vois pas bien ce qu'on peut lui reprocher. Il traite les F. avec décence et leur permet de s'exprimer. Que des critiques soient faites n'est pas nouveau et elles sont toutes justifiées.
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A
Merci Geplu<br /> La culture maçonnique, c'est aussi cela, la connaissance de l'adversaire et même de l'ennemi, aussi fine que possible. Théorie du complot, paranoïa, tout ce que l'on voudra, mais cela existe et, apparemment, avec des moyens. Mais on a connu pire, alors, on tiendra le coup.
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