Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Tony Goupil
Le Franc-maçon de la Vierge est un roman apologétique s'inscrivant dans le courant antimaçonnique, écrit par Florent Bouhours. Publié en 1886, ce roman connu une popularité non négligeable en devenant un classique des lectures de réfectoires dans les collèges religieux. Roman aujourd'hui oublié, Le Franc-maçon de la Vierge connut pourtant un certain succès puisqu'il fut réédité, et même illustré par Henri Morin dans une édition postérieure. Il fut même parfois lu dans les classes. Pouvant être acheté pour un prix de 75 centimes, ce roman fut publié chez les assomptionnistes dans la série « Bijou » (spécialisée dans la publication de roman grand public). En effet il fut édité par « La Maison de la Bonne presse » à Paris, qui était alors dirigée par les Augustins de l'Assomption. Cette maison d'édition possédait à l'époque un quasi-monopole sur les tirages de périodiques catholiques. Ce roman dit « catholique » est inspiré d'une histoire vraie où seuls les noms des protagonistes ont été inventés.
Nous savons très peu de choses de Florent Bouhours. Il fut abbé et également auteur d'un autre roman intitulé Les trois Vierges noires de l'Afrique équatoriale (1891) qui raconte le sauvetage de trois africaines par la mission belge anti-esclavage au Burundi. Bouhours, dans la préface de son roman fait preuve de modestie, en qualifiant son roman de « ni savant ni remarquable ».
Une intrigue simple et « simpliste » : la vie péripétielle de Joseph
Ce roman raconte les tribulations du jeune dunkerquois, Joseph Burgemeester, sur fond de guerre franco-prussienne. Les personnages évoluent donc dans l'ambiance tourmentée de la guerre de 1870. Joseph, élevé en bon chrétien, part de chez lui à l'âge de dix-huit ans afin de s'engager dans l'armée. Dans son régiment, il fait la connaissance de Raoul Pluvier, lui aussi soldat, et franc-maçon. Ce dernier fait rencontrer à Joseph deux marchands en vins et spiritueux, le propre père de Raoul et le juif Wackenstein, Vénérable de la Loge qui vont achever de convaincre Joseph (par divers arguments tels la promotion sociale, l'enrichissement, l'honneur) de venir grossir les rangs des francs-maçons.
Un jeune violoniste espagnol du nom d'Antonio Pepita le mettra cependant en garde de ne pas tomber sous la coupe de la Mano Negra (la « Main noire » désigne une branche de la franc-maçonnerie en Espagne). Joseph se laissera cependant tenter par les promesses alléchantes des trois complices. Un expert en écriture sera commandité par le Vénérable de la Loge de falsifier les lettres de Joseph à destination de ses parents. Apprenant la récente accession de son fils au grade d'apprenti franc-maçon, la mère de Joseph sombre dans la folie tandis que son père se désole de voir son fils se détourner des chemins de la chrétienté.
Par le biais du réseau de la franc-maçonnerie, Joseph accède à un grade militaire plus élevé, celui d'« élève-fourrier » (sous-officier chargé d'assurer la distribution des vivres et équipements d'une troupe). Il commence à mener alors une vie plus dissolue, abusant quelque peu de la liqueur, une vie de fête et de débauche. Joseph sera ensuite empoisonné par Raoul Pluvier, à la demande de Wackenstein, afin qu'il ne parte pas sur le champ de bataille pour se faire tuer. Forcé de rester, suite à sa convalescence, Joseph devient, sous l'influence des francs-maçons, journaliste, puis commis-voyageur en changeant de nom. Il vend ainsi des vins et des « articles maçonniques » sous l'identité de Marius Azaïs.
Ce prénom est une référence à Pierre-Hyacinthe Azaïs (1766-1845) qui fut un philosophe français, auteur de la théorie des « compensations » qui suppose qu'une somme égale de chance et de malchance est dispensée à tous les êtres humains. Azaïs fut également un proche de la franc-maçonnerie.
Ce rôle de commis-voyageur étant en réalité une couverture. Wackenstein, lui demande de profiter de cette couverture afin d'espionner les curés de campagne et de faire des rapports sur leur comportement.
Mais Joseph, pétri d'une éducation catholique, éprouve des remords et décide de ne pas se plier à cette instruction en refusant d'épier les hommes d'église et ainsi devenir un « sycophante » (délateur professionnel). Les remords devenant regrets, il est de plus en plus distant de Wackenstein et de la franc-maçonnerie. Wackenstein et les autres membres, considérant que Joseph n'a pas la « foi maçonnique » lui font passer une ultime épreuve afin de déterminer si Joseph peut rester franc-maçon. Ce dernier devra cracher sur une statue de la Vierge puis la briser. Joseph qui porte une dévotion toute particulière (d'où le titre du roman) à la sainte, refuse de commettre cet outrage. Les francs-maçons mené par Wackenstein tentent alors de le tuer. Parvenant à s'échapper, Joseph se réfugie en Espagne où il retrouve Antonio Pepita, le jeune espagnol qui l'avait mis en garde contre la « Main noire ». Malheureusement atteint de coxalgie (maladie de l'articulation de la hanche), Joseph se décide à l'aider financièrement, grâce à un travail de traducteur dans une entreprise locale.
Joseph, libéré de l'emprise des francs-maçons, maudit l'organisation qui lui a pris dix ans de sa vie : « O Franc-maçonnerie satanique, toi qui tues l'esprit des mères et qui flétris le cœur de leurs enfants, oh ! je te hais ! sois, sois maudite ! » (page 171). En effet Joseph, rétabli financièrement, finit par revenir voir sa famille après 14 ans d'absence (il était parti à 18 ans en 1870 pour ne revenir dans le foyer familial qu'à 32 ans en 1884). Sa mère le voyant de retour tel le Fils Prodigue, se trouve ainsi guérie de sa folie.
À suivre...