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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

« Le Franc-maçon de la Vierge », un roman de Florent Bouhours. Les personnages et le style (2/2)

« Le Franc-maçon de la Vierge », un roman de Florent Bouhours. Les personnages et le style (2/2)

Des personnages archétypaux.

Le père de Joseph Burgemeester apparaît comme un personnage très concerné par le destin de son fils. Il voit l'entrée de son fils dans l'Ordre comme un synonyme d'apostasie et tente de le faire renoncer à son dessein en lui adressant des lettres, qui sont filtrées par les membres de l'Ordre. Lorsqu'il apprend que ce dernier s'est fait franc-maçon, il se met à lire toutes les publications relatives à l'Ordre afin de mieux comprendre les choix de son fils. C'est ainsi qu'il lit des articles portant des titres tels que : Son organisation intime ou Constitution et organisation. À la suite de ses lectures, monsieur Burgemeester se demande si son fils est un membre actif ou passif de la franc-maçonnerie, s'il doit payer une cotisation annuelle, s'il fait partie de la « division pacifique » ou bien de la « division guerrière » de l'Ordre. Monsieur Burgemeester s'inquiète profondément de l'avenir de son fils et de sa Rédemption au vu de la publication récente de l'Encyclique Humanum Genus du pape Léon XIII publiée en 1884 et luttant contre la morale de la franc-maçonnerie que le souverain pontife qualifie d'« association criminelle ».

Joseph Burgemeester, quant à lui, est décrit dès sa jeunesse comme un enfant curieux mais aussi très influençable notamment par la lecture de fictions : « Au moral, Joseph était d'une nature faible, impressionnable, rêveuse, exaltée. Son imagination, naturellement vive, avait encore été développée davantage, et cela de bonne heure, par la lecture de beaux livres illustrés » (page 24). Florent Bouhours profite de cette description de son héros pour condamner les romans d'aventure qui peuvent avoir un effet néfaste sur certains jeunes esprits. Dans la suite du récit, Joseph est décrit comme un personnage au caractère malléable : ,Nature faible, impressionnable, il n'avait jamais été que l'écho de son ami Raoul, qui l'avait dominé de toute l'astuce et de tout l'ascendant de sa nature énergiquement perverse ». Ainsi Bouhours décrit Joseph comme une marionnette dans les mains de Raoul et de Wackenstein. Mais peu à peu, à l'image d'un récit initiatique, Joseph finit par acquérir une volonté propre et faire ses propres choix, qu'ils soient moraux ou professionnels.

Le juif Wackenstein qui est le Vénérable de la Loge et le recruteur de Joseph par le truchement de Raoul Pluvier, est un homme qui a le sens de la formule et la maîtrise du discours. L'auteur décrit Wackenstein comme un homme « au regard louche d'oiseau des ténèbres ». L'historien Pierre Pierrard qui a étudié certains romans ayant pour sujet la franc-maçonnerie dans son ouvrage Juifs et catholiques français: d'Édouard Drumont à Jacob Kaplan (Cerf, 1997) y voit ici une référence à la prose de Léo Taxil. Bouhours décrit le juif a un autre endroit de son roman d'une manière inquiétante, en faisant un personnage quasi hoffmannien : « Une grande barbe noire encadrait son visage osseux, dur, qu'éclairaient deux yeux noirs, profonds, un peu louches, méchants, et dans lesquels il était impossible de lire les sentiments de son âme aussi noire, sans doute, que sa physionomie ». Wackenstein, tout comme ses complices francs-maçons, est caractérisé par Bouhours, par son rire sardonique et machiavélique digne d'une nouvelle fantastique : « Et tous les trois de rire, de ce rire atroce qui est le rire particulier des malfaiteurs et qui rappelle le grincement des tigres » (page 73). Wackenstein fait preuve d'une capacité hors-norme dans l'art de maîtriser le discours, et de faire adhérer de nouveaux membres. Adepte de l'amphigouri, Wackenstein est ainsi capable de faire, lors des assemblées de la Loge, des discours volontairement ambigus, empreints d'une éloquence emphatique et sonore. Le juif Wackenstein n'hésite pas à mettre la main à la pâte pour préserver l'anonymat de la Loge. C'est lui qui essaye de tuer de ses propres mains Joseph tentant de s'enfuir du bâtiment de la Loge, à l'aide d'un couteau sur la lame duquel est gravé « Haine à Dieu ! Mort aux traîtres ! ».

Le style de Bouhours

Ce roman relativement bref (194 pages) se lit rapidement. L'intrigue en est simple et la lecture aisée. L'auteur fait d'ailleurs preuve d'une plume habile, ce qui a pu expliquer son succès. Florent Bouhours se manifeste dans son écriture par les ellipses narratives. C'est ainsi qu'il passe volontairement à la trappe maints détails sur la cérémonie d'initiation de Joseph : « Nous n'entrerons pas ici dans tous les détails d'une initiation. Ces absurdités voulues, mais sans raison probante, ont été racontées bien des fois ». De même il fait une ellipse narrative de cinq ans de la vie de Joseph. En effet il ne relate pas les cinq années de Joseph en tant que commis-voyageur, toutes les communes qu'il a visité et tous les prêtres qu'il a surveillé.

On peut également reprocher à Florent Bouhours de ne pas être entré dans certains détails de son histoire. C'est ainsi qu'il ne fait pas mention du passé de Wackenstein ou encore de la biographie de Raoul Pluvier et de son père. Mais cela, en définitive, sert l'intrigue puisqu'elle donne une aura de mystère aux personnages du roman de Bouhours. Le romancier ne fait pas preuve de prolixité descriptive lorsqu'il mentionne les bâtiments où la Loge mène ses assemblées secrètes. On sait seulement que les locaux se trouvent dans la « Ville de X... », que ces bâtiments sont labyrinthiques, dont la façade extérieure est « d'un repoussant aspect ». Il ne précise pas non plus ce que sont exactement les « articles maçonniques » que doit vendre Joseph pendant ses années en poste en tant que commis-voyageur.

Florent Bouhours pratique beaucoup dans son roman l'isolement typographique. Il met bien souvent des termes clés (relatifs à la franc-maçonnerie) en italique afin de les faire ressortir du texte. C'est ainsi qu'il met en italique des termes tels frères, Patriarche, Vénérable, frères agitateurs (pour désigner les membres de la franc-maçonnerie troublant l'ordre public), bienfaisance (en référence à la société de bienfaisance de la Loge, organisant des banquets au profit des bonnes œuvres).

Dans tous les cas, Florent Bouhours montre qu'il s'est beaucoup documenté sur la franc-maçonnerie avant d'écrire son roman. En effet il n'hésite pas à citer le discours du serment de jeune apprenti lors de l'initiation de Joseph : « Je jure de ne jamais révéler les secrets, les signes, les attouchements, les paroles, les doctrines et les usages des francs-maçons et de garder là-dessus un silence éternel... ». Il montre également dans son écriture qu'il s'est renseigné sur la hiérarchie de la franc-maçonnerie ainsi que sur son système de fonctionnement. Ainsi ce livre est un bon moyen de se familiariser en douceur avec quelques aspects de la philosophie maçonnique.

***

Ce roman de Florent Bouhours, est un roman très dichotomique et relève d'une vision manichéenne de la franc-maçonnerie vis-à-vis du catholicisme. Il est ainsi parfois difficile de distinguer dans le roman ce qui relève des pensées des personnages, du « je » de l'auteur. Ainsi lorsqu'il écrit « le vrai franc-maçon est lâche » (page 21), Bouhours exprime t-il l'avis de son personnage ou le sien ? Ce roman se trouvait à l'époque dans de nombreuses bibliothèques de bibliophiles. Aujourd'hui il figure dans le rang des livres rares. Roman sur les francs-maçons, certains y ont vu aussi un roman empreint de beaucoup d'émotions : Louis Bethléen dans Romans à lire & romans à proscrire (1911) nous dit d'ailleurs : « F. Bouhours. Le Franc-maçon de la Vierge est un tout petit livre ; mais il est traversé d'une telle intensité d'émotion qu'à le lire, chacun y va de sa larme ». Dans tous les cas Le Franc-maçon de la Vierge est un roman moraliste qu'il faut replacer dans son contexte d'écriture afin d'en comprendre toute la portée.

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