Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Adon Qatan
Si d'aventure on googlise l'expression « église gnostique », on tombe, entre autres aberrations, sur une courte présentation écrite d'une conversation avec un certain Jean Solis (interviewé par ailleurs dans le n°5 de Critica Masonica sur « Les difficultés de l'édition maçonnique »). Cette conversation est en ligne sur le site de web-télé occultiste Baglis TV avec le titre incompréhensible : « L'Église gnostique chaote » (EGC). On trouve aussi plusieurs variantes, toutes aussi incompréhensibles, comme « Église gnostique cahote », confondant chaos et cahot, faute de français devenue assez commune ces derniers temps, à l'instar du lent, mais sûr, remplacement de fainéant par feignant.
Le texte d'introduction commence déjà par une grosse erreur de raisonnement, qu'on en juge : « Église gnostique chaote : 3 mots, 3 fautes ! affirmerait sans conteste un représentant de l'église catholique romaine ». Nous doutons même qu'un moindre curé irait jusque là ! Surtout que le bon sens, autant rationnel, rhétorique, syntaxique, orthographique, qu'étymologique, nous souffle qu'il y a là une anomalie linguistique, un barbarisme qui n'est pas à chercher dans l'expression « Église gnostique », mais plutôt dans l'épithète « chaote » définitivement inexistante en français.
En fait, le seul adjectif que nous ayons dans notre langue, dérivé du nom commun « chaos », est « chaotique ». On peut dire qu'« Église Chaotique » aurait été, au moins pour l'assonance, un pendant remarquable à « Église catholique », mais était-ce, par contre, l'acception recherchée : « chaotique » signifiant « désordonné(e) » ?
On devine que non, puisqu'à la fin de cette introduction, on nous explique que « chaote » signifie « anarchiste », ce qui désespérera les anarchistes qui ne se réclament pas spécifiquement du chaos/désordre ! Et nous passons sur l'anticléricalisme et l'athéisme connaturels à l'anarchisme.
Non seulement « chaote » n'est désespérément pas français –on s'attendrait plutôt, pour une idéologie se réclamant du chaos, à un néologisme tel que « chaosienne » ou « chaotiste », sous-entendant donc un certain « chaotisme »– mais il pose incidemment une autre question : les Gnostiques, les anarchistes ou l'humanité en général ont-ils besoin de se réclamer du chaos ?
Pour les anarchistes, nous avons déjà répondu brièvement, mais on pourra rajouter que l'anarchisme comprend tellement de variantes, que l'on peut effectivement trouver des anarchistes se prévalant du chaos –qu'on le définisse comme désordre généralisé ou néant total. Dans ce dernier cas, on parle évidemment de « nihilisme », dont nous avons des exemples avec le nihilisme russe de la fin du XIXe siècle, le terrorisme anarchiste français et européen de la Belle époque et le mouvement punk avec son « no future » plus récents.
Quant aux Gnostiques –et nous parlons ici des vrais, des anciens, ceux des textes de Nag Hammadi et des hérésiologues–, il faut bien dire que l'on a jamais vu nulle part un groupe gnostique se basant sur la notion de chaos, quel qu'il soit (néant ou désordre), avec ou sans majuscule.
L'humanité enfin, est suffisamment dans le chaos habituellement pour qu'on en fasse, en plus, un culte ! Dois-je citer, ici, les derniers avatars du chaos religieux, moral et social, incarnés par Daesh ? Ou, plus couramment, dans le joug de la mondialisation capitaliste ou les mafias les plus diverses ?
La généalogie de cette supposée « Église » est exprimée dans la présentation par deux étapes foutraques dont la première, antique, mélange « orthodoxie chrétienne » (Denys l'Aréopagite, Evagre le Pontique), « semi-hérésie » (Origène), néo-Platonisme (Jamblique, la Bibliothèque d'Alexandrie), Gnose (Valentin) et l'Évangile de Jean... On se demande au passage pourquoi la bibliothèque de Nag Hammadi n'est pas citée. La seconde étape nous fait passer de cette Antiquité tardive directement aux XIXe et XXe siècles, sans transition -ce qui fait tout de même un trou de 14 siècles !- avec des personnalités qualifiées de « prêtres occultistes », le tout étant justifié par de prétendues filiations apostoliques plus que douteuses (« Églises autocéphales et jacobites ») puisque, pour une part, invérifiables et, pour une autre, montées de toutes pièces, ne faisant que parodier les filiations apostoliques de toutes les Églises « orthodoxes » habituelles.
D'ailleurs cela pose d'autres questions, car si « une suite ininterrompue de schismes, d'excommunications en tout genre... » est citée, peut-on prétendre à une filiation ininterrompue basée sur ces ruptures ininterrompues ? L'excommunication n'a-t-elle aucune validité et efficience sacramentelle ?
Jules Doinel n'est-il pas plutôt le seul premier « prophète » du néo-gnosticisme ? Ce qui en ferait remonter l'origine et la généalogie à la révélation spirite que Doinel eut en 1888, autour des guéridons de Lady Caithness. Incidemment, l'« Église gnostique » doinelienne et tous ses dérivés actuels (comme l'E.G.C.), descendraient donc naturellement du Spiritisme !
Enfin, M.Solis affirme que « Rome nous considère comme valide mais illicite ! », superbe contradiction dans les termes, car ce qui est illicite ne saurait être valide en l'occurrence. Et puis, la belle affaire ! Depuis quand des Gnostiques, et autres alter-chrétiens, ont besoin de l'avis ou de l'imprimatur papiste ? D'ailleurs, étant nous-mêmes Gnostiques, nous considérons l'Église romaine et tous les autres prétendants à « l'orthodoxie », comme étant illicites et donc invalides, voire nuls et non avenus ! (Nous nous en expliquerons dans un article publié prochainement dans la revue Critica Masonica : « La Gnose : le mot & la chose, histoire d'une révolution spirituelle »).
Quant à la « coloration dionysiaque » de l'E.G.C., on peut dire et constater que si le chaos à besoin de Dionysos et de Nietzsche pour se concrétiser, ce n'est pas le cas pour le domaine gnostique.
Pour en finir avec la thématique « gnose et chaos », nous avons cru comprendre que cette E.G.C. a un certain rapport avec le néo-catharisme. Sachant que pour les Cathares, le Néant (Nihil), autre acception du Chaos, est le père du Diable... et que lesdits Cathares s'affirmaient « vrais et bons chrétiens » et ennemis absolus du Diable, il est évident qu'une Église « chaote », gnostique ou non, de par son titre même, se trouve en contradiction flagrante avec le catharisme le plus authentique.
Si nous ajoutons à cela que M. Solis serait franc-maçon, il entre aussi en stricte opposition avec la devise traditionnelle basique de la F.M., Ordo ab Chao, puisqu'on croit comprendre qu'il s'agit ici de la voie inverse : Chaos ab Ordo... ô joie de la Libre démolition !