Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Le 5 octobre 2015, le Directeur des ressources humaines (DRH) et de la politique sociale d’Air France, Xavier Broseta, a dû être exfiltré par des vigiles et des syndicalistes, d’un comité d’entreprise envahi par les troupes salariales en colère. Il en a perdu sa chemise, arrachée par la foule. Il a raconté son histoire dans les colonnes du Parisien (le 26 octobre 2015) : « Ma veste se déchire, je la prends dans mes bras avec mes affaires. Nous sommes poursuivis (...). À un moment, quelqu’un m’attrape par derrière, tire le col de ma chemise, si fort que le bouton du col lâche. On me tire fort vers l’arrière, et moi, je tire fort pour me dégager. Les boutons sautent, ma chemise y reste ».
Cette énième tentative de mise à nu n’est pas très surprenante à notre époque. C’est d’ailleurs ce que faisaient, sur le mode humoristique, les chômeurs de The Full Monty de Peter Cattaneo en 1997 : ils montaient un spectacle de nu intégral, se transformant en ouvriers Chippendales. Dans la vraie vie, lorsqu’on n’arrive plus à se faire entendre, le corps devient le media et parfois même le message. Depuis les calendriers militants de professeurs ou de jeunes agricultrices jusqu’au Femen ou aux intermittents, se dénuder est devenu le moyen d’attirer l’attention ou de dire aussi qu’on se retrouve « à poil », sans emploi, sans ressources, sans rien d’autre que ce corps qu’on exhibe comme ultime recours. Pourtant il y a plusieurs différences de taille entre le cadre d’Air France et les prolos de Sheffield : le premier se fait enlever la chemise violemment alors que les seconds se dessapent entièrement et volontairement.
L’apparition bien involontaire du corps d’un dirigeant vient rappeler le conte de Hans Christian Andersen, Les Habits neufs de l'empereur (1837). Cet empereur qui croyait porter des vêtements et qu’un petit garçon dévoile en constatant simplement : « Le roi est nu ! ». C’est sans doute le spectacle de cette nudité du pouvoir, ici incarnée par un DRH et subitement révélée, qui explique le soutien immédiat du Premier ministre aux cadres d’Air France, la promptitude des pouvoirs publics à passer à l’action et les arrestations des suspects au petit matin. Il y a eu de la panique au sommet devant cette violence populaire.
En 1906, Georges Clémenceau, ministre de l’intérieur -et inspirateur de Manuel Valls-, n’hésitait pas à faire intervenir la troupe contre les ouvriers émeutiers qui s’en prennaient aux châteaux des patrons. Il se justifiait à la Chambre des députés le 18 juin : « À mes yeux, ceux qui agissent contre la classe ouvrière sont ceux qui l’encouragent dans cette idée folle que, partout où il y a un ouvrier qui ne respecte ni la loi, ni le droit, il y a la classe ouvrière ». Jean Jaurès lui répondait le lendemain : « Tandis que l’acte de violence de l’ouvrier apparaît toujours, est toujours défini, toujours aisément frappé, la responsabilité profonde et meurtrière des grands patrons, des grands capitalistes, elle se dérobe, elle s’évanouit dans une sorte d’obscurité ». Car, parmi les images des événements d’Air France qui ont fait le tour du monde et provoqué des commentaires atterrés sur l’état du dialogue social dans l’Hexagone, il y a bien une image manquante : c’est celle du Président d’Air France, Frédéric Gagey, présent lors du comité d’entreprise du 5 octobre et dont l’évacuation a été immédiate... et réussie. Les cadres ont trinqué, les ouvriers ont été arrêtés et le grand patron s’est bien « dérobé ».
À suivre...