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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Sur « Le croissant et le compas. Islam et franc-maçonnerie, de la fascination à la détestation » de Thierry Zarcone

Sur « Le croissant et le compas. Islam et franc-maçonnerie, de la fascination à la détestation » de Thierry Zarcone

Thierry Zarcone est un parfait connaisseur des mondes arabe, turc et persan. Auteur d’un ouvrage pionnier très remarqué paru en 1993 : Mystiques, philosophes et francs-maçons en Islam, publié chez Maisonneuve, l’historien nous livre dans son dernier ouvrage (Dervy, 2015, 26 euros) la synthèse des recherches qu’il mène depuis des années sur les rapports entre la franc-maçonnerie et les cultures musulmanes. On lira aussi avec intérêt sur cette thématique un autre de ses ouvrages, Secret et sociétés secrètes en islam (Arche Milano, 2002).

L’auteur rappelle que les premières loges maçonniques ont été installées par des occidentaux, formant « un club chrétien en pays musulman ». Il nous précise qu’au cours du XIXe siècle on a commencé à voir entrer en maçonnerie, tout au long de la construction de l’impérialisme et du colonialisme, des « indigènes » dont, rapidement, des notabilités. Il montre aussi, documents à l’appui, combien certains rituels de confréries soufies, notamment celle des Bektâchîs ottomans, ont pu présenter une proximité avec le paradigme maçonnique, aidant à former un embryon de franc-maçonnerie musulmane.

Pendant cette période, la loge, constituant « un étonnant laboratoire du vivre ensemble (…) en terre d’islam, est finalement confrontée à un double et même triple défi, celui de faire régner la concorde entre musulmans, chrétiens et juifs, et, plus délicat encore, entre différentes communautés musulmanes, telles que celles des sunnites, des druzes et des ismaéliens, pour n’en citer que quelques unes, ou même, pour ce qui concerne les chrétiens, entre catholiques, protestants et orthodoxes » ( p. 20).

À la fin du XIXe siècle, la détestation a commencé à l’emporter sur la fascination. En effet, d’une part, l’abandon du Grand architecte de l’univers (GADLU) par les loges dépendant du Grand orient a pu choquer des orientaux installés dans une ambiance religieuse n’ayant pas connu le processus de laïcisation de la métropole et satisfaites de ce plus petit commun dénominateur. D’autre part, les potentats locaux ont eu peur d’une structure qui, quelque spiritualiste et œcuménique qu’elle demeurât, s’avérait, à leurs yeux, dangereuse, du fait de sa discrétion.

La détestation antimaçonnique s’est alimentée du caractère vétérotestamentaire du référent dominant dans les rituels, lequel a pu faire croire à certains au caractère sioniste de la franc-maçonnerie. Ce thème a entretenu ensuite toute une littérature complotiste et construit la partie islamique de l’antimaçonnisme, aujourd’hui très active.

Ce que décrit Zarcone avec une rigueur exemplaire quant à l’utilisation des sources est finalement la chronique d’un échec. Liban, Malaisie, Maroc, Turquie, c’est à ces pays que se limite aujourd’hui la présence maçonnique en terre d’islam et le débat est entre partisans d’un GADLU qui est dieu et adeptes d’une conception plus large, telle que les britanniques l’ont désormais concédée, à savoir la simple croyance en un être suprême.

De plus, dans son obsession de la « régularité » dont on peut regretter qu’elle fasse entorse à la scientificité de son travail, par ailleurs indéniable, l’auteur en vient à essentialiser de fait les peuples orientaux dans une croyance religieuse atemporelle. Il passe par là-même à côté de ce qui frémit aujourd’hui, avec le soutien d’éléments des diasporas, comme franc-maçonnerie "libérale", en partie féminisée, que cela soit dans le Maghreb, au Liban ou en Turquie, en attendant le monde chiite, aujourd’hui réduit, maçonniquement parlant, à un exil éclaté.

Dans la bibliographie pourtant solide qui termine l’ouvrage, on remarquera l’absence de référence au travail coordonné par Antoine Sfeir dans le numéro 69 des Cahiers de l’orient en 2003, « L'équerre et le croissant : la franc-maçonnerie en terre d'Islam ». Oubli ou inélégance ?

Ceci posé, nous avons avec ce livre la seule synthèse existant sur cette question qui s'inscrit, faut-il le souligner dans une problématique très actuelle. Encore faudrait-il s'entendre sur la modernité qu'il s'agit de concilier avec des traditions, celle qui s'est établie à la fin du XVIIIe siècle ou celle qui nous porte aujourd'hui, sans discrimination d'ethnie ou de sexe?

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A
Certes mais il ne faut pas désespère d'une évolution
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J
Il est certain que la masculinité des loges dont parle Zarcone ne fait rien pour l'émancipation des femmes qui sont dans un contexte encore plus machiste que le nôtre...
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