Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
L’affaire de la maçonne qui défraye la blogosphère (voir notamment Hiram.be et La Maçonne), mérite que l’on s’y arrête un instant. Au-delà du soutien que nous réitérons ici sans restriction à l’intéressée, victime d’un oukase et prise en tenaille, il va bien falloir que l’on réfléchisse sérieusement à ce qui se passe sur la toile en termes de maçonnerie 2.0.
Il s’agit d’un incontestable outil de modernité, mais qui, bougeant les lignes établies, demande une réflexion sur la méthode et la déontologie. Les différents acteurs dont on peut dire qu’ils sont quelque part autoproclamés, ne sont pas identiques, aussi bien quantitativement (leur influence), que fonctionnellement (liens directs ou indirects à une obédience et/ou un courant de pensée). Certains s'avèrent très actifs, avec plusieurs textes postés chaque jour, d’autres vivotent sur cet aspect crucial, d’autres enfin assurent une régularité suffisante pour maintenir un attrait. Quant à l’influence, elle va de quelques dizaines de visiteurs par jour à plusieurs milliers. Sur le plan financier, les quelques recettes que l’on peut engranger à un certain niveau de visibilité ne nourrissent ni sa femme, ni son homme, loin s’en faut. Concernant les petits, le résultat est nul. La publicité, qui peut parfois sembler envahissante est échangée contre la gratuité du support (Overblog par exemple).
La mise en ligne de textes et, plus encore, l’ouverture aux commentaires (certains; comme le blog « Pierre vivantes » de Roger Dachez ne les autorise pas) produisent des effets contradictoires. La connaissance des faits d’actualité comme des questions de fond en est augmentée, en même temps que la bride est lâchée dans un contexte marqué par les modes de discours utilisés sur les réseaux sociaux. On a ainsi pu voir déferler des torrents de commentaires fielleux, parmi lesquels il était difficile de sauver quelques analyses pertinentes, à propos de deux grands dossiers qui ont défrayé la chronique maçonnique ces dernières années, l’ouverture du Grand orient de France (GODF) aux femmes et la crise de la Grande loge nationale française (GLNF). Si un jour Hiram.be, animé par Géplu, publie ses archives, nous serons édifiés. Autre aspect, le rôle d’investigation que peuvent avoir certains blogueurs qui introduisent de la transparence dans une relative opacité. Il ne s’agit pas de révélations, lesquelles sont à l’œuvre depuis les années 1730, mais de poil à gratter dans les manœuvres d’appareil qui n’épargnent pas davantage la maçonnerie que d’autres types d’organisation.
Sans prétendre être complet, puisqu’aussi bien nous appelons davantage ici à la réflexion que nous ne proposons de solution, il faut être conscient, sans invoquer la fracture numérique, du fait que certaines et certains sont plus à l’aise que d’autres dans tous les registres du processus. Créer un blog demande un gros investissement temporel et cognitif, écrire pour un public exige une certaine forme de confiance en soi, commenter implique une certaine volonté d’affichage, idéologique, narcissique, ludique, avec croisement possible de ces déterminations, sans parler des "trolls", ces pollueurs de blogs qui introduisent une véritable pathologie. Les responsables qui, en principe, valident chaque commentaire, sont parfois appelés à siffler la fin de la récréation.
Enfin, et le cas de La Maçonne l’illustre, certains blogueurs ont choisi un langage plus subjectif, pouvant aller jusqu’à réactiver la tradition des pamphlétaires. Il n’y a rien à en redire, tant que les barrières de la diffamation ne sont pas franchies. Quant à la présentation de soi (on ne pense pas ici à La Maçonne, mais à d'autres), les limites de l'exhibitionnisme tolérées par la société ont reculé et cela se sent. Pour ce qui est des frontières de la transparence, un aspect mérite d’être souligné, l’utilisation des pseudos, aussi bien pour les blogueurs que pour les commentateurs.
Bien d’autres questions pourraient être envisagées. Mais on se souviendra que des Bordelais -qui ne nous avaient pas invités, les vilains- avaient convié à un débat sur la maçonnerie 2.0 La Maçonne, dont on ne peut douter qu’elle ait des choses à dire en la matière, d’autant qu’elle est, sauf erreur, la seule femme à s’être risquée en première ligne. Or la tenaille écossaise, symbole oublié d'on ne sait quel grade, s’est mise à fonctionner, la Grande loge féminine de France (GLFF) et la Grande loge de France (GLDF) qui avaient versé leur cotisation à l’organisation de cette réunion ont annoncé qu’elles reprenaient leurs sous si La Maçonne était de la partie. La GLFF avait, il y a peu, invité quelques blogueurs à la clôture de son convent, mais la tenaille alors ouverte, s’est refermée. Espérons que personne n’acceptera de débattre de ce sujet en son absence.
Le paysage est dominé par Hiram.be, fondé par Jiri Pragman en 2004, pionnier que l'histoire retiendra à ce titre et repris par Géplu. La GLDF bénéficie d’un blog ancien, influent, relativement ouvert sur les autres et dirigé par Jean-Laurent Turbet, désormais directeur de la communication de l’obédience. Le Grand orient de France bénéficie du talent de Gérard Contremoulin, fondateur de « Sous la voute étoilée ». Le Droit humain, à notre connaissance, ne possède rien de tel et la GLFF avait incontestablement les faveurs de La Maçonne. L’interview de Catherine Jeannin-Naltet, ancienne Grande Maîtresse le 31 mai dernier, en atteste s’il en était besoin. Cela vient de changer, pour des raisons qui ne tiennent pas à La Maçonne, qui n’a rien changé de son style, mais à une "sainte alliance" qui semble avoir besoin de victimes sacrificielles. Les spiritualistes férus de René Girard trouveront dans son œuvre une clef d’interprétation, les autres chercheront du côté d'Hannah Arendt.
Soyons patient, l’orage passera et les gardiennes et gardiens des rites ne devraient pas accepter d’intégrer la tenaille dans la symbolique maçonnique. D’ici quelques mois, le débat aura lieu. Nous en serons, et la maçonne aussi, mais avec tous les autres, les gros et les petits.