Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Le numéro 74 de la revue Rocambole (bulletin des amis du roman populaire) vient de sortir. Il est consacré aux « Guerres du capitaine Danrit ». Celui qui fut, en fin de carrière, le lieutenant-colonel Driant, né en 1855, mourut en février 1916, dans les premiers combats de la bataille de Verdun. Fort peu progressiste, gendre du général Boulanger, Danrit écrivit une vingtaine de romans militaires parmi lesquels, en 1894, L’Invasion noire qui racontait une submersion de l’Europe par les Africains. En 1905, au moment du grand changement géopolitique, il récidiva avec L’Invasion jaune. La bibliothèque de Rocambole propose depuis décembre 2001 une réédition complète de ce roman (614 pages) qui parut à l’origine en trois tomes, au prix de 39 euros, alors que l’édition Flammarion de 1999 ne l’était pas.
Quant à cette livraison de Rocambole (18 euros), elle propose un dossier complet qui débute par un article de Daniel Compère sur ce « stratège de l’imaginaire » qui fut premier prix d’histoire au concours général, futur député nationaliste de Nancy, utilisant pour nourrir son activité d'écrivain aussi bien ses connaissances historiques que l’actualité. Daniel David étudie ensuite les liens entre l’armée, la politique et la littérature et les rapports entre le Danrit qui écrit et le Danrit qui milite. Marie Palewska revient sur L’Invasion jaune précitée, un roman d’amour et de guerre dans le style de ceux de Jules Verne. Jacques Saint-Pierre traque dans ce texte les conceptions politiques et géopolitiques. Thierry Chevrier reprend quant à lui L’Invasion noire dont il se demande si elle relève de l’élucubration, de la prémonition, ou de l’anticipation. Suivent plusieurs articles, parmi lesquels une comparaison de Joseph Altairac entre deux écrivains, Danrit et Arnould Galopin, dans la manière qu’ils ont d’annoncer à travers leur livre éponyme La Révolution de demain. Daniel Compère étudie un roman d’avant guerre, L’Alerte et Alfu le dernier texte de Danrit, La Guerre souterraine. Viennent enfin une réflexion de Frédéric Schwindt sur la figure du sacrifice du héros et une interrogation de Jean-Paul Gourévitch à propos de Danrit : est-t-il « une victime du politiquement correct » ? Avant la bibliographie finale construite par Daniel Compère et Marie Palewska, Jean-Luc Buard s’intéresse à Georges Dutriac qui fut le principal illustrateur du romancier et qu’il sort de l’oubli.
De même que la littérature des années trente peut nous renseigner sur ce qui se répète pour partie aujourd’hui, de même des romans comme ceux de Driant, peu fréquentés parce que « populaires », ne sont pas sans évoquer les manifestations récentes d’un racisme permanent. Les théories d’un Renaud Camus sur « le grand remplacement » sont largement annoncées par les craintes du romancier militaire d’il y a un siècle sur les périls noirs ou jaunes censés nous menacer.
Le bimestriel Rocambole poursuit son étude du roman populaire et prépare entre autres dossiers, des numéros sur Paul Féval, les éditions Ferenczi, la bibliothèque verte et bien d’autres aspects d’une littérature que des passionnés, à force de recherches, sortent de son illégitimité supposée.