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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

À propos de « Critique de la religion. Une imposture morale, intellectuelle et politique » par Yvon Quiniou

Mélisande Morlighem

Il se publie régulièrement des livres (Régis Debray ou Luc Ferry en étant les auteurs les plus connus) pour nous expliquer, dans une sorte de forclusion de la réalité du lieu où ils sont écrits, le caractère indépassable de la religion ou des religions, le singulier et le pluriel étant évoqués alternativement dans un registre qui se veut anthropologique. En revanche, la critique philosophique de cet univers, dans des contrées comme la nôtre où l'athéisme ne cesse de progresser et où croyances et pratiques ne sont fortement présentes que dans les marges de la société, est rarissime. Yves Quiniou, dans Critique de la religion. Une imposture morale, intellectuelle et politique (La Ville brûle, 2016) est de ceux qui maintiennent le cap avec une rigueur méthodologique sans faille, en dépit d'une certaine solitude. L'auteur note avec justesse que les publications rationalistes, au premier rang desquelles figure la revue Raison présentene bénéficient pas d'un lectorat exceptionnel. On comprendra que les athées devraient s'affirmer davantage, a minima comme lecteurs.

Dans cet ouvrage, Yvon Quiniou commence par poser la nécessité de sa position critique face à cette indifférence et cette timidité. Il pointe également une complaisance des mondes de la recherche et de l'édition envers les réenchanteurs, plutôt qu'envers ceux qui considèrent, comme il le note en introduction que : « Les religions, loin d'être un facteur de lien social et de pacification des mœurs, suscitent des conflits, favorisent la violence et alimentent l'obscurantisme. Si les philosophes de Lumières en ont fait le procès en leur temps, le contexte intellectuel actuel leur est favorable, cet aveuglement laissant libre cours à un retour en grâce stupéfiant ».

L'auteur s'appuie d'abord sur un bilan historique des religions qu'il juge absolument calamiteux, contestant par avance ceux qui trouveraient son tableau trop sombre, l'actualité ne démentant pas, loin s'en faut, la nature du propos. Puis il revient sur l'utilisation longtemps faite en France de la religion par les forces conservatrices, pour se demander in fine qu'elles pourraient être aujourd'hui les modalités d'une critique assise sur une histoire de la philosophie.

Yvon Quiniou reprend cette généalogie intellectuelle en deux temps. Il revisite tout d'abord la « critique philosophique de la religion » avec Spinoza (la religion comme sur-naturalité fictive et déraison politique), Hume (l'origine naturelle des religions) et Kant (la religion dans les limites de la raison), pour montrer ce que les Lumières ont installé comme seuil de réflexion en la matière.

Il en vient ensuite aux tenants d'une « explication critique de la religion » : Feuerbach considérant la religion comme projection de l'homme dans un monde fictif ; Marx et la théorie de l'aliénation ; Nietzsche et sa critique de la religion à partir de la vie. Il reprend enfin le texte de Freud, L'avenir d'une illusion, que n'apprécient pas tous les freudiens, s'attachant pour chaque auteur à dégager des « horizons d'émancipation ».

En conclusion, Yvon Quiniou pose la religion comme une imposture. Il croise métaphysique et morale pour en tracer un possible au-delà, dans une société dont il oublie cependant de noter qu'elle est déjà partiellement la nôtre. On pourra regretter, sans rien oublier de la qualité de l'ouvrage, qu'un marxiste affirmé et conséquent, rompu à l'analyse de la société en termes de classes, ne souligne pas en quoi la question religieuse relève justement, de plus en plus, en France comme ailleurs, d'une problématique de classe.

Certes, le philosophe n'est pas sociologue. On ne lui reprochera pas. Mais il apparait ici un manque à penser (par d'autres) assez criant. Ce sont en effet de plus en plus majoritairement les dominés qui croient et pratiquent sinon le catholicisme finissant, mais en tout cas l'islam et le protestantisme évangélique, davantage que les dominants et même les couches sociales intermédiaires, volontiers athées. La société athée dont parle Yvon Quiniou commence à exister, mais elle est partielle, socialement marquée et largement impensée.

Ceci posé, la réflexion philosophique que produit Yvon Quiniou est salutaire et on saura gré à son éditeur, La Ville brûle de nous la rendre accessible. L’auteur trace au passage quelques figures de l'athéisme contemporain, de la non-croyance à l'incroyance, de l'indifférence à la critique, postures qui sont rarement interrogées, nous offrant une typologie qui pourra servir de point d'appui à celles et ceux qui voudraient savoir commence fonctionne intellectuellement une fraction croissante de la population. Il y va de l'athéisme comme de toutes les figures de l'émancipation, certains la construisent, d'autres la suivent, et nombreux sont ceux qui en profitent en toute inconscience.

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C
C'est un livre très bien argumenté, sérieux et par rapport à tous les pseudos manuels de réenchantement du monde, ça fait du bien, même si effectivement, une sociologie de l'athéisme reste à écrire après cette réflexion philosophique.
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L
Le résumé de l'article est suffisamment éloquent et clair... donc cher Lionel Maine libre à moi de ne pas vouloir le lire. Alors de grâce gardez votre réplique à l'emporte-pièce et non argumentée (trop facile aussi). Le plus simple serait de nous dire pourquoi le livre vous plait tant ? Cela serait me semble-t-il plus constructif !
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L
On sent dans cet article superbement bien écrit la patte de quelqu'un qui connait bien son sujet. Cependant je ne verserai pas un obole pour dénicher cet ouvrage mentionné. Le titre est un peu limite et on a l'impression au premier abord qu'une certaine frange d'athées ou de rationalistes se pose en médecin d'une opinion malade, affaiblie, en gardien de la santé de l'humanité. Trop facile...
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L
Ce qui est "trop facile", c'est de se permettre de le critiquer sans l'avoir lu.C'est un de mes livres de chevet et je le recommande vivement.