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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

La Franc-maçonnerie sous le régime de Vichy (1/3)

Claude Bou .°.

L’État français débute le 10 juillet 1940, alors que le film Forces occultes n’est tourné qu’en septembre 1942 et qu’il sort sur les écrans des Champs-Élysées parisiens le 10 mars 1943. En matière d’anti-maçonnisme, Forces occultes constitue  la meilleure illustration du « complot judéo-maçonnique » que Vichy prétend dénoncer. Ce film est tout à la fois un fait marquant et un aboutissement.

C'est un fait marquant, car si l’État français en est le commanditaire, le Service de propagande allemand, Propaganda Abteilung, y investit jusqu’à 1 200 000 Reich Marks. Pour ces faits de collaboration active, le producteur du film, Robert Muzard, sera condamné à 3 ans de prison à la Libération. Le réalisateur Paul Riche (de son vrai nom Jean Mamy), ancien franc-maçon, sera condamné à mort et fusillé en 1949 et le scénariste Jean Marques-Rivière sera condamné à mort par coutumace et terminera ses jours dans l’Espagne de Franco.

Il s'agit aussi d'un aboutissement, car l’année 1942 est celle où les troupes alliées débarquent en Afrique du Nord, par les colonies de l’Empire Français, et c’est l’année où la Zone Libre est envahie. Le charisme de Philippe Pétain, vainqueur de Verdun, 86 ans en 1942, semble donc s’épuiser. Son entourage intrigue dans les couloirs. De 1940 à 1942, Laval précède Flandin, auquel succède Darlan, avant le retour de Laval, encore plus collaborationniste qu’à son premier passage au gouvernement. Et, en matière d’anti-maçonnisme, comme en matière d’antisémitisme ou de collaborationnisme, l’État français revient à ses fondamentaux de droite nationaliste,, Laval étant d'ailleurs revenu pour cela. C’est donc sous ce second mandat que se fera Forces occultes.

Mais pourquoi tant de haine ?

La haine anti-maçonnique que dégage Forces occultes puise ses racines bien plus loin que dans le strict immédiat avant-guerre. C’est ainsi que deux événements servent de terreau et de défouloir à l’antisémitisme et à l’anti-maçonnisme au début du XX° siècle. L’affaire Dreyfus en 1894 d’une part, avec l’implication des francs-maçons en faveur de la réhabilitation du capitaine injustement condamné. L’affaire des Fiches en 1904 d’autre part, où l’attitude d’une partie de La franc-maçonnerie n’est pas des plus glorieuses : en 1901, le général André, ministre de la Guerre et franc-maçon, entreprend de mettre en fiches les convictions philosophiques et religieuses de quelques 27 000 officiers pour gérer leur avancement. Les renseignements sont fournis par de nombreux francs-maçons et en 1904 la presse s’empare de l’affaire. Le scandale est immense et le général André finit par démissionner, le gouvernement du « petit père Combes » tombe quelques semaines plus tard. Pétain a eu droit à sa petite fiche personnalisée et il saura s’en souvenir.

Mais la haine anti-maçonnique de Pétain ne sera pas uniquement motivée par le fait d’avoir été fiché. C’est un catholique pratiquant et de conviction, il est le produit de cette époque où République et Église s’opposent frontalement et où l’Église rappelle souvent que les francs-maçons sont infréquentables... et toujours excommuniés depuis l'an 1738.

C’est aussi l’époque de l’amalgame entre anti-maçonnisme et antisémitisme. Le fantasme du « complot judéo-maçonnique » va apparaître pour ne plus disparaître depuis. Ainsi, Charles Maurras fustige ce qu’il appelle les « quatre états confédérés » : « Organisation maçonnique, colonie étrangère, société protestante, nation juive, tels sont les quatre éléments qui se sont développés de plus en plus dans la France moderne depuis 1789 » (La Semaine littéraire de Genève, 1905). Dans La seule France (Lyon, 1941), il précise : « c’est dans la loge que se syndique tout ce que la Synagogue et le monde métèque comptent de moins français ».

Et Pétain sait s’en inspirer directement lorsqu’il dénonce : « l’Anti-France » (discours du 15 août 1940) qui comprend les étrangers, les juifs, les francs maçons et les communistes.

Un certain 10 juillet 1940

En 1940, le 10 juillet, 569 parlementaires votent les pleins pouvoirs à Pétain, parmi lesquels on compte 88 francs-maçons. 17 parlementaires s’abstiennent dont 9 francs-maçons. Les 61 communistes ont été déchus de leurs mandats après le pacte germano-soviétique et 27 parlementaires dont Pierre Mendès-France et Jean Zay, ne prennent pas part au vote parce qu’ils sont alors à bord du « Massilia » pour continuer la guerre depuis l’Afrique du Nord. Parmi les députés absents, francs maçons et mobilisés sur le front, il y a aussi Gaston Monnerville, député de Guyane depuis 1932, et qui rejoindra, ensuite, le maquis d’Auvergne  du réseau « Combat » de Henry Frenay.

Enfin,  80 parlementaires votent contre... dont 19 francs-maçons seulement. Parmi eux : Félix Gouin de la loge aixoise « Les Arts et l’Amitié » et député des Bouches-du-Rhône ; les trois députés de l'Isère, Léon Martin, Lucien Hussel et Séraphin Buisset.

Quant aux Allemands, ils entrent dans Paris le 14 juin 1940. À peine arrivés, ils investissent les bâtiments institutionnels de la III° République, mais aussi ceux des obédiences. Les archives de la rue Cadet et de la rue Puteaux sont alors saisies par les occupants (elles ne seront rendues que soixante ans plus tard, par les Russes en 2000 !).

Dans ce contexte, beaucoup de loges fonctionnent au ralenti, le Conseil de l’Ordre est éparpillé, la plupart de ses membres sont injoignables, beaucoup de frères, et notamment les plus jeunes, sont mobilisés. Arthur Groussier, 77 ans, maçon depuis 1885, ancien député quasiment sans interruption de 1893 à 1924, assure la Présidence du Conseil de l’Ordre du Grand orient de France (GODF) depuis 1925. Il s’inquiète et veut tenter d’éviter les représailles sur l’ensemble de l’obédience et de ses membres. Or la consultation normale du Conseil de l’Ordre est impossible, c’est donc dans l’urgence que Groussier, peut être inspiré par Camille Chautemps, franc-maçon lui aussi, écrit à Pétain dans l’espoir de l’infléchir, le 7 août 1940 : « Prenant l’entière responsabilité de notre charge, nous déclarons que le Grand orient de France cesse son fonctionnement et que toutes les loges qui en relèvent doivent immédiatement renoncer à poursuivre leurs travaux, si elles ne l’ont déjà fait ». Il essaie de l’amadouer : « Sans doute, comme dans toutes les institutions humaines, la franc-maçonnerie du Grand Orient de France a eu ses faiblesses, mais durant deux siècles d'existence, elle compte à son actif de belles pages d'histoire, depuis les Encyclopédistes jusqu'au maréchal Joffre, vainqueur de la Marne. Elle a brillé par sa grandeur morale, et elle ne peut rougir ni de son idéal ni de ses principes ». Et, en pleine anglophobie galopante (la marine anglaise vient d’attaquer la marine française à Mers-el-Kébir, le 3 juillet 1940) il ajoute : « [Le Grand orient de France] n’a jamais subi une direction étrangère, notamment celle de la Grande loge d’Angleterre, avec laquelle il n’a aucun rapport (…) depuis 1877 ».

Mais cette lettre restera vaine, car elle précèdera de six jours seulement la dissolution officielle de la franc-maçonnerie par la loi du 13 août 1940.

À suivre

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V
Devoir de mémoire et comme disait Brecht, si je ne m'abuse, docteur, "le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde".<br /> Ce que fit Arthur Groussier n'est pas glorieux, mais il y a eu bien pire, Charles Riandey, futur transporteur du REAA à la GLNF, qui proposa aux occupants une maçonnerie pur sucre, laquelle lui fut refusée.
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L
Intéressant article (et j'attendrai avec impatience la suite). Pour ce qui est le cas de Jean Marques-Rivière qui, comme on le sait ,sera condamné à mort par contumace, terminera ses jours dans l’Espagne de Franco. Il continuera pourtant d'écrire tranquillement, comme si de rien n'était (ses ouvrages seront publiés ou réédités en France (Payot, Robert Laffont, etc...).
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